Jean Messiha (à gauche), avec Eric Zemmour. Le premier est né égyptien et a été naturalisé français, et le second est un fils d’Algériens naturalisés français.
A l’approche de la présidentielle française de mai 2022, la chaîne de la fachosphère CNews diffuse une émission de débat politique, opposant deux jeunes, représentant deux partis d’extrême-droite : Aleksandar Nikolic (35 ans) du Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen, et Denis Cieslik (27 ans) de Reconquête d’Eric Zemmour. Le journaliste se démène désespérément pour que les co-débateurs parviennent à démontrer ce qui différencie leurs deux formations respectives sur le plan aussi bien idéologique que programmatique. Bien au contraire : les deux débateurs se montrent d’accord sur leur volonté d’interdire toute immigration en France, et sur leur croyance dans le «Grand remplacement», théorie complotiste d’extrême-droite qui — fondée plus sur des impressions que sur des données démographiques réelles, biaisée par une défiance de nature xénophobe et raciste — affirme qu’il existerait en France un processus de substitution de la population blanche de souche européenne par une population non européenne, noire et arabe d’Afrique.
Très peu d’observateurs auront remarqué une chose : les deux intervenants étaient eux-mêmes d’origine étrangère, c’est-à-dire fils d’immigrés. Denis Clieslik est né de parents polonais, et Aleksandar Nikolic est le fils d’un père serbe venu en France pour un court stage de Français mais qui n’est plus jamais reparti, et d’une mère portugaise. Ses deux parents n’ont jamais pris la nationalité française. Comme ces débateurs, leurs deux grands partis d’extrême-droite français sont actuellement dirigés par des fils d’étrangers, et donc par des immigrés de deuxième génération. En effet, depuis le 5 novembre dernier, le RN s’est choisi comme président Jordan Bardella, né de parents immigrés italiens, avec aussi une grand-mère paternelle algérienne. Quand à l’ancien journaliste et polémiste Eric Zemmour, il est né dans une famille «juive-berbère d’Algérie» comme il aime le dire, qui s’est installée en France en 1952.
Fatwas contre l’immigration
Un autre fait qui apparaîtrait anodin : le samedi 10 décembre 2022, l’équipe de France de football remporte une belle victoire sur celle d’Angleterre. Dans la classe politique qui salue en chœur ce triomphe, deux réactions suscitent la curiosité, celles de Jordan Bardella et d’Eric Ciotti, élu président du vieux parti de droite LR réduit en eau de boudin après sa tragique défaite à la dernière présidentielle. Le premier twitte : «merci Olivier Giroud, merci Didier Deschamp, merci l’équipe de France», et, sur le même réseau social, le second félicite «un très grand Lloris, un Giroud magistral et une équipe solide». Tiens ! Aucun des deux ne s’est rappelé que c’est le jeune Aurélien Tshouameni qui a ouvert le score pour les Bleus ! D’où la réaction amusée d’Olivier Faure, chef du parti socialiste français qui, sur Twitter, écrit : «soit Jordan Bardella et Eric Ciotti n’ont pas regardé la première mi-temps, soit ils ne connaissent pas le nom d’Aurélien Tchouameni», suggérant une omission en lien avec le fait que le joueur d’origine camerounaise est noir de peau. Nous avons parlé de Bardella plus haut, mais ajoutons que, comme lui, Éric Ciotti, le héraut de l’extrême-droitisation des LR – il avait promis de voter pour Zemmour si ce dernier devait affronter Emmanuel Macron au second tour de la présidentielle –, descend lui aussi d’une famille italienne.
Un autre personnage de cette fachosphère est sans conteste Hosam Botros Messiha. Né au Caire, et fils d’un diplomate égyptien, il débarque en France à l’âge de 8 ans, sans parler un mot de Français. Il est naturalisé à l’âge de 20 ans, et adopte le prénom Jean pour faire moins arabe. Homme de gauche dans un premier temps, il vire très vite à l’extrême-droite en adhérant au RN, mais il y est tout de même ostracisé malgré tout : le parti de Marine Le Pen refuse chaque fois de l’aligner sur ses listes aux élections européennes et régionales. Il démissionne alors et rejoint Éric Zemmour, après avoir fondé l’Institut Appolon, un cercle de réflexion d’extrême-droite. Il est l’un de ceux qui font le plus pitié lorsqu’il s’égosille à la télé pour lancer ses fatwas contre l’immigration, «en particulier de l’Afrique du Nord», dont il est originaire, et dans sa défense de la théorie débile du Grand remplacement.
Parmi les intervenants permanents de CNews qui se distinguent par leur discours extrême, on peut également signaler Elisabeth Lévy, la directrice du magazine Causeur. Selon le journal Le Monde, c’est «une revue vendue à 10 000 exemplaires volontiers réactionnaire et ouverte aux infréquentables jusque dans son capital», avec Gérald Penciolelli, personnalité d’extrême droite assumée, la finançant à hauteur de 44%. Dans un éditorial sur le site de Causeur en 2017 et intitulé : «Immigration : la coulpe est pleine», elle écrivait : «Alors que depuis quarante ans la France est confrontée à une immigration massive dont les partisans les plus zélés ne cessent de proclamer, pour s’en réjouir, qu’elle change le visage du pays, la question a échappé à la délibération démocratique, le simple fait de vouloir qu’on en parle suffisant à classer ceux qui s’y risquaient dans le camp des populistes».
Fermer vite la porte
En 2002, elle est choquée par les grandes mobilisations contre Jean Marie Le Pen, qui était parvenu au second tour de la présidentielle face à Jacques Chirac, et écrira même un article au Figaro intitulé : «l’antifascisme ne passera pas !» Elisabeth Lévy est membre d’une famille juive algérienne qui était installée au Maroc, avant son immigration vers la France.
Même l’égérie médiatique d’extrême-droite, Charlotte d’Ornellas, journaliste chez les racistes de Valeurs actuelles et membre de l’ONG ‘‘SOS Chrétiens d’Occident’’, est quand-même descendante d’une vieille famille aristocratique … portugaise.
Moralité : l’immigration est bonne lorsque c’est soi-même et sa famille qui viennent s’installer en France. Mais il faut vite fermer la porte derrière pour que d’autres n’entrent pas. Ou peut-être, qu’ils aient le courage de le dire, l’immigration est supportable en France quand il s’agit de personnes blanches, de souche européenne. Or, même là, sauf hypocrisie, il y a problème : quand on regarde Zemmour, Lévy ou Meissiha, ils n’ont aucune différence, physiquement parlant, avec tous ces Arabes qui peuplent le Maghreb.
Aristote KAJIBWAMI