L’ancien ministre de la Santé et candidat sortant Alphonse Djedjé Mady, candidat commun des partis d’opposition PDCI-PPA-CI, en meeting au stade de Vavoua dans le Haut Sassadra (à gauche), et le président de l’Assemblée nationale Adama Bictogo, s’adressant à la foule à Yopougon à Abidjan.
La Côte d’ivoire est en pleine campagne électorale en ce moment, en vue des élections régionales et municipales qui auront lieu le samedi 2 septembre prochain. Ces élections ont un sens car, même si l’élection des présidents de région (pour les régionales) et les maires (pour les municipales), se fera au second degré au sein des assemblées régionales et des conseils municipaux, le peuple ivoirien saura avec exactitude, dès la proclamation des résultats d’ici à mercredi prochain, qui va diriger sa région ou sa commune. Cela à cause d’un mode de scrutin strict et clair, alliant scrutin proportionnel plurinominal avec prime majoritaire via des listes fermées, sans vote préférentiel ni panachage. La liste qui recueille le plus de suffrages exprimés obtient la moitié des sièges à pourvoir. L’autre moitié des sièges est répartie entre toutes les listes, y compris la liste majoritaire, à la proportionnelle selon la règle du plus fort reste. Donc le vainqueur est donc la liste que le peuple souverain a placé en tête, et sa tête de liste, connue au préalable, sera le prochain président de région ou maire de la commune.
Un tel mode de scrutin a le mérite d’éliminer de la course tous les farfelus, les amuseurs de galerie, les tripatouilleurs, les vagabonds politiques, les apprentis politicards sans conviction etc, pour ne laisser le champ politique qu’aux grands partis disposant d’une réelle implantation sociologique. Pour le cas de la Côte d’Ivoire, même si par-ci par-là, une liste indépendante peut emporter le suffrages majoritaires des électeurs, il reste que le match se jouera entre les trois grands et vrais partis du pays : le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) du président de la République Alassane Ouattara ; le Parti démocratique de Côte d’Ivoire –Rassemblement démocratique africain (PDCI-RDA) de feu l’ancien président Henry Koné Bedié ; et le tout nouveau Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI) de l’ancien président Laurent Gbagbo.
Les petits partis se cachent tranquillement pour mourir. Ainsi, le Mouvement des générations capables, MGC, de Simone Gbagbo, n’aligne que 24 listes sur les 201 communes, alors que le COJEP du turbulent Charles Blé-Goudé a préféré carrément faire forfait. De la sorte, une fois élus, les présidents de région (équivalent de nos gouverneurs de province en RDC), autant que les maires (équivalent de nos bourgmestres), disposent d’une épaisseur de légitimité qui les rend à la fois forts et respectables, y compris par le pouvoir central. Chacun restera fidèle à sa famille politique car il sait qu’aux prochaines élections, ses électeurs le sanctionneront s’il change de bord.
Les Ivoiriens, dirigeants autant que le peuple, prennent ces élections très au sérieux. C’est ainsi que, à titre d’exemple, le parti au pouvoir a envoyé sur terrain ses grosses pointures se battre pour remporter régions et communes. Ainsi, le Premier ministre Patrick Achi est candidat dans la région de La Me, le ministre d’Etat et ministre de la Défense et jeune frère du chef de l’Etat, Téné Birahima Ouattara, est en lice pour devenir président de la région de Tchologo. Le président de l’Assemblée nationale, Adama Bictogo, est aligner pour remporter la commune de Yopougon à Abidjan. Qui peut imaginer chez nous le président de la chambre basse concourir à l’élection du bourgmestre de la commune de Lemba ? C’est dire l’importance que revêtent ces élections en Côte d’Ivoire.
Rien à voir avec la RDC où les élections provinciales et – prochainement – les municipales ressemblent plutôt à une loterie digne d’une foire d’empoigne où s’affrontent des centaines des partis au positionnement inconnu des électeurs, qui produisent ensuite des assemblées frelatées, remplies d’élus véreux et trimardeurs, prostitués politiques impénitents et idéologiquement désincarnés, auxquels on va ajouter des chefs coutumiers dépravés et pervers, et ensemble ils vont s’adonner à se faire mouiller copieusement la barbe pour élire le gouverneur. Bien souvent, c’est le parti au pouvoir à Kinshasa qui remporte la quasi-totalité de gouverneurs, grâce à sa plus grande capacité à corrompre des députés provinciaux pourris et débauchés, qui saisissent sans se faire prier l’occasion de s’accrocher, tels des sangsues, aux mamelles du trésor public suborneur.
Résultat des courses : le peuple se retrouve avec des gouverneurs inconnus, des prébendiers auxquels il n’aurait jamais pensé même dans ses pires cauchemars, qui ne doivent leur élection qu’à la grande capacité corruptrice du pouvoir qui règne sur le gouvernement central. Dans ces conditions, justement, le gouverneur ne l’est que de nom : il devient en réalité un petit ‘‘atalaku’’ qui passe son temps à chanter, au propre comme au figuré, la gloire du chef de l’Etat, et un petit commis à la merci du gouvernement central, que le ministre de l’Intérieur peut malmener à sa guise.
En plus, il va passer tout son mandat à graisser la bouche d’une foule de personnes qui va des autorités centrales aux membres de leurs familles afin de garantir le maintien à son poste. En effet, au moindre refus de renvoyer l’ascenseur, on lui suscite une motion de censure au sein d’une assemblée provinciale dont les membres restent égaux à eux-mêmes en matière d’élans débaucheurs. Même les rares gouverneurs qui avaient été élus sur liste de partis d’opposition changent très vite de casquette et deviennent plus royalistes que le roi en matière de flagornerie. On se retrouve donc en pleine démocrature sans âme.
C’est ici le lieu de constater l’échec du constituant de 2005. Dans son esprit, il avait pensé que, même si le gouverneur de province et, demain, les maires des villes et bourgmestres des communes, seront élus au second degré par leurs assemblées, la conscience politique des membres des assemblées provinciales et des conseils municipaux fera que les candidats des partis dominants l’emporteraient. Grosse erreur : ça, c’est le genre de constitutions qu’on élabore pour des peuples murs. Comme le peuple du Royaume uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord, où, même en l’absence de tout texte, le bon sens, cette caractéristique majeure du genre Homo sapiens, prédomine, et fait que, au niveau national comme provincial, tout le monde comprend que seul le leader du parti ou de la coalition majoritaire, doit exercer la fonction de Premier ministre de la nation ou de la région.
Ce n’est pas fait pour des peuples comme celui de RDC. Ici, en 2006, à Kinshasa, malgré le mode de scrutin proportionnel intégral (avec le plus fort reste), le MLC remporta la moitié des députés provinciaux : 22 élus sur 44. Si on se rappelle que le parti de Jean Pierre Bemba pouvait compter sur les élus des partis alliés, c’est-à-dire trois de l’ABAKO, un de la CODELI, un de la DC, et un de l’ADECO, on pouvait espérer une victoire nette du MLC à l’élection du gouverneur. Que non : aux 44 élus, on ajouta d’abord les 8 chefs coutumiers prévus par la Constitution, et ensuite on acheta comme des vénales pantins tous les alliés sauf le seul élu de la CODELI, Francis Mbengama. Résultats des courses : Kinshasa, qui avait plebiscité Jean Pierre Bemba à plus de 80%, et qui avait offert une majorité aux provinciales à son parti MLC, se réveilla le matin avec à sa tête un gouverneur, André Kimbuta, issu du PPRD, le parti de Kabila auquel les Kinois n’avaient offert que 7 députés sur les 44 sièges à pourvoir.
Mais Kabila avait peut-être l’excuse de ne rien connaître aux principes démocratiques. Il ne s’était jamais battu de sa vie pour l’instauration de la démocratie dans son pays. Et la Tanzanie où il a vécu toute sa vie, n’est pas un modèle de démocratie pouvant influencer ses valeurs de vie. Il fallait donc attendre l’UDPS, la championne toutes catégories du combat démocratique. Dieu merci : elle est effectivement parvenue au pouvoir suprême en janvier 2019, à l’issue des élections générales de décembre 2018. Et dans le fauteuil du président de la République : le propre fils du Sphinx de Limeté, Etienne Tshisekedi wa Mulumba, combattant de la liberté numéro un sur les bords du fleuve Congo. Sauf que, avec Félix Tshisekedi, l’UDPS fait pire que sous Kabila et son PPRD.
Sous le regard ébahi d’un peuple congolais déboussolé, on débauche tous les gouverneurs initialement élus sous la bannière FCC, la plateforme kabiliste. Les deux rares qui résistent, Zoé Kabila du Tanganyika et Richard Muyej du Lualaba, sont renversé par une motion alimentaire pour le premier, et convoqué puis pris en otage à Kinshasa pour le second – sa province restant tout un mandat durant et en toute illégalité entre les mains d’une adjointe passée avec armes et bagages dans la famille politique du chef de l’Etat. Désormais, l’UDPS qui ne se gêne pas de remporter les gouvernorats de Tanganyika et du Maniema, deux provinces où elle a … zéro député provincial !
Plutôt que d’essayer d’améliorer le système afin de le rationaliser avec des mécanismes susceptibles de conformer le choix des chefs des exécutifs avec le suffrage effectivement émis par le peuple, nombreux faillirent s’étrangler en entendant le chef de l’Etat émettre le souhait de changer un jour la Constitution afin de pouvoir nommer – carrément ! – les gouverneurs des provinces ! L’UDPS, le parti d’opposition fédéraliste qui veut ramener le Congo vers le jacobinisme mobutien qu’elle a combattu des décennies durant, c’est franchement le monde à l’envers.
En attendant donc la prochaine loterie congolaise, qu’on appellera par pudeur ‘‘élections législatives provinciales’’ et ‘‘élections municipales’’, qui auront lieu en décembre en même temps que la présidentielle et les législatives nationales, que faire ? Eh bien, une chose : souhaiter bonne chance à nos frères Ivoiriens. Eux au moins, ils ont des élections qui ont un sens.
Mbuta MAKIESSE