Le peuple ivoirien s’est prononcé dans les urnes le 2 septembre 2023, à l’occasion des élections municipales et régionales. Le score est sans appel : le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), le parti du président de la République Alassane Dramane Ouattara, est le grand vainqueur de ce double scrutin, avec 123 communes remportées sur 198 proclamées (il reste trois communes où les élections seront reprises), et 25 régions sur les 30 proclamées (les élections seront reprises dans une région). De son côté, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire – Rassemblement démocratique africain (PDCI-RDA), de feu l’ancien président Henry Konan Bédié, résiste tant bien que mal dans ses bastions du centre et du sud du pays, avec 22 communes et 3 régions. Les indépendants sont, finalement, la deuxième force politique du pays, avec 41 communes et une région. Quant au nouveau parti de Laurent Gbagbo, le Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI), il a subi un vrai naufrage.
En effet, il n’a recueilli que 2 communes et aucune région n’est tombée dans son escarcelle. Même dans l’Ouest du pays, terre d’origine de Laurent Gbagbo, c’est le RHDP qui l’emporte, y compris dans le Goh, région de l’ancien chef de l’Etat. Dans cette partie du pays, la victoire la plus retentissante a été, dans la région du Haut Sassandra, celle du jeune ministre de la Promotion de la jeunesse Mamadou Touré, qui l’a emporté face à un ticket des deux partis de l’opposition PDCI-RDA et PPA-CI conduit par le président du conseil régional (équivalent de nos gouverneurs en RDC) sortant Alphonse Djédjé Mady et comprenant le jeune leader du PPA-CI Stéphane Kipré, ancien époux d’une fille Gbagbo. Mais le PPA-CI a perdu aussi à Yopougon, la grande commune d’Abidjan et la plus peuplée du pays, jusque-là considérée comme une citadelle gbagboïste imprenable, remportée par le président de l’Assemblée nationale Adama Bictogo face au propre fils de Laurent Gbagbo, Michel Gbagbo.
Comment expliquer une telle déconfiture du parti de Laurent Gbagbo, lui qui rêvait de faire son grand retour sur la scène politique ivoirienne après son retour en Côte d’ivoire en décembre 2021 ? D’abord, le courant pro-Gbagbo, qu’il s’agisse du Front populaire ivoirien (FPI) à l’époque, ou du PPA-CI aujourd’hui, n’a jamais été la première force du pays, malgré les rodomontades de ses cadres. Si, en 2000 Laurent Gbagbo a été élu président de la République, c’était parce que les deux poids lourds du landerneau politique ivoirien, Alassane Ouattara et henry Konan Bédié, avaient été éliminés de la course. Ce qui avait permis à M. Gbagbo de l’emporter face à l’ex-général putschiste Robert Gueï avec 59%, mais avec une abstention record de plus de 67%, ce qui fait que le vote Gbagbo correspondait en réalité à seulement 19% du corps électoral.
Bilan plus qu’appréciable
Ensuite, pour la première fois que les trois grands partis de l’époque – le PDCI-RDA de Bédié, le RDR d’Alassane Ouattara et le FPI de Gbagbo – avait tous concouru à une élection, ce fut lors des municipales de 2001 organisées par le gouvernement de Laurent Gbagbo lui-même. Le RDR l’avait emporté avec 64 communes, suivi du PDCI-RDA avec 58 communes, le FPI n’arrivant qu’en troisième position avec 34 commune seulement.
Ensuite, il y a ces divisons qui affaiblissent ce camp. «Nous avions espéré voir un rassembleur, mais nous avons vu un monarque qui voulait qu’on l’adore», avait déclaré Pascal Affy N’guessan, ancien Premier ministre et président du Front populaire ivoirien, fondé par Laurent Gbagbo dans les années 80. En effet, ce qu’on peut qualifier de la famille politique de la gauche ivoirienne est aujourd’hui désintégré en plusieurs morceaux. Et c’est l’une de ses principales faiblesses.
En effet, l’ancien FPI est aujourd’hui éclaté en FPI dirigé par Pascal Affy N’guessan, le tout nouveau PPA-CI de Laurent Gbagbo, le Mouvement des générations capables (MGC) de Simone Ehivet Gbagbo, l’ancienne épouse de Laurent Gbagbo, et le Congrès panafricain pour la justice et l’égalité des peuples, COJEP, de Charles Blé Goudé. Une famille politique en pièces détachées donc, au moment où, en face, le président Alassane Ouattara n’a fait que rassembler : à son RDR de départ, il a fédéré l’Union pour la démocratie et la paix en Côte d’ivoire (UDPCI) de feu le général Robert Gueï, dirigé depuis la mort de ce dernier par le tonitruant Abdallah Bruno Mabri Toikeusse ; une dissidence du PDCI-RDA nommée PDCI-Renaissance ; l’Union pour la Côte d’ivoire, UPCI ; le Mouvement des forces d’avenir (MFA), au sein d’une grande formation politique, le RHDP, qui quadrille efficacement l’ensemble du territoire national.
Dernière faiblesse du clan Gbagbo : le discours identitaire ne fonctionne plus. S’il a aligné tous ses hauts cadres dans la bataille, ses derniers n’ont eu de cesse d’essayer de cristalliser les peurs autour de l’origines de certains candidats du RHDP nordistes alignés dans l’ouest du pays. Mais aussi à Abidjan où un militant ultra pro-Gbagbo, Mohamed Sam Jichi dit ‘‘Sam l’Africain’’, a lancé lors du dernier metteing de Michel Gbagbo : «tu ne manges pas porc, tu ne gouvernes pas Yopougon», allusion au fait que le candidat du RHDP, Adama Bictogo, est de confession musulmane.
A l’inverse, outre la grande union que constitue le RHDP, le parti du chef de l’Etat a tiré profit du bilan d’Alassane Ouattara plus qu’appréciable. Le peuple ivoirien est séduit majoritairement par les progrès économiques et sociaux, ainsi que la construction des infrastructures à travers le pays, l’électrification et l’adduction en eau potable en plus de 90% des villages ivoiriens.
Si Laurent Gbagbo se rêvait en homme providentiel, le peuple ivoirien l’a ramené – lourdement – sur terre, lui enlevant ses ultimes illusions.
Belhar MBUYI