FINANCE De 5 milliards USD en 2019 à 11 milliards en 2023, la...

De 5 milliards USD en 2019 à 11 milliards en 2023, la dette publique de RDC a-t-elle dépassé le seuil de soutenabilité ?

Depuis leur publication le 10 avril dernier par la Direction générale de la dette publique, DGDP, les statistiques sur la dette publique de la RDC ne finissent pas de faire jaser. En effet, la dette publique de la RDC atteint désormais 10,5 milliards de dollars, alors qu’elle était de 5,6 milliards en 2019. Rappelons que la dette extérieure a été réduite de 14 à 3 milliards USD sous le régime Kabila dans le cadre de l’initiative Pays pauvre très endetté, PPTE, et maintenue à ce niveau jusqu’en 2019. Des sources de la Direction générale de la dette publique indiquent que cette importante hausse de la dette est due aux dépenses de l’administration publique centrale, supérieures aux recettes publiques, observées depuis 2019. D’où la DGDP redoute que la dette publique de la RDC dépasse les 15 milliards USD, d’ici les cinq prochaines années.

Depuis lors, les réactions ne se sont pas faites attendre, en particulier pour condamner ce qui apparaît comme une politique visant le réendettement du pays sans cause. Premier à dégainer, Antoine Lokongo, professeur des relations internationales à l’Université Joseph Kasavubu, qui qualifie de “choquante” l’augmentation de la dette publique, «dans un pays où la majorité de la population vit dans une extrême pauvreté». L’homme craint que le président Félix Tshisekedi ne puisse léguer à la RDC une dette publique supérieure à celle que le maréchal Joseph-Désiré Mobutu avait laissée.

«Une telle explosion de la dette représente un frein considérable au développement et elle ne nous aidera pas à remplir les nombreux objectifs socio-économiques que nous nous sommes fixés. Mobutu, qui a régné dans ce pays, sans partage d’ailleurs, nous a légué une dette de 14 milliards de dollars», a-t-il déclaré à nos confrères de la Deutch Welle (La voix de l’Allemagne).

Tshisekedi fait mieux que Kabila

Deuxième à intervenir, Ernest Mpararo de la Ligue congolaise contre la corruption, LICOCO, qui enfonce le clou. «Qu’est-ce que la RDC a fait de cette dette pour lutter contre la pauvreté ou les injustices ou le problème du développement ? Qu’est-ce que nous avons financé comme projet ? Est-ce qu’on a financé les routes ? Est-ce qu’on a financé la santé ? Est-ce qu’on a financé les écoles ? Est-ce qu’on a financé des projets intégrateurs ? Ce sont ces questions-là qui doivent préoccuper les citoyens. Nous interpellons les députés pour qu’ils posent des questions au gouvernement», s’interrroge-t-il au micro de nos confrères de La Prospérité.

Pour autant, la dette publique congolaise doit-elle susciter tant d’inquiétudes ? A-t-elle atteint, ou dépassé – pour reprendre le terme économique consacré – le seuil de soutenabilité ?

En économie, on ne doit pas se limiter à des chiffres bruts pour tirer des conclusions. En effet, pour mesurer la dette publique, on la rapporte au produit intérieur brut (PIB), ce qui permet de comparer la dette publique à la taille de l’économie. Ainsi donc, en 1997, la dernière année de pouvoir du maréchal Mobutu, le ratio dette publique (14 milliards USD) sur PIB (6 milliards USD) était de 233,33%, ce qui est énorme. Alors qu’aujourd’hui, avec une dette publique de 11 milliards de dollars pour un PIB de plus de 70 milliards, cela donne un ratio d’à peine 14%.

En outre, le président Félix Tshisekedi fait mieux que Joseph Kabila. En effet, contrairement aux commentaires entendus çà et là, ce ratio était en moyenne de 18% de 2011 à 2019. Depuis la prise de pouvoir par M. Tshisekedi, malgré l’augmentation de l’endettement, ce ratio n’a fait que baisser : 16,2% en 2020 ; 15,7% en 2021 ; 14,3 en 2022 ; 14,3 en 2023 ; et, selon les prévisions du FMI, il sera de 11,1% en 2024 et descendra à seulement 8,9% en 2025, selon les chiffres du dernier du FMI sur les perspectives économiques régionales consacré à l’Afrique sub-saharienne.

Capacité à honorer ses engagements

A ce propos, la RDC fait mieux que de nombreux pays africains, de géants économiques aux réputés mieux gérés : 73,9% en Afrique du Sud ; 84,5% en Angola ; 86,1% au Ghana ; 73,3% au Kenya ; 62,1% au Rwanda ; 57,1% en Côte d’Ivoire ; 46,3% en Tanzanie. Ainsi comparée à celle des autres pays, la dette publique de la RDC ne représente quasiment pas grand-chose.

Autre point d’importance : la dette publique congolaise est-elle soutenable ? La soutenabilité des finances publiques d’un Etat renvoie à sa capacité à honorer ses engagements financiers à terme. Elle dépend essentiellement de la trajectoire à long terme de la dette publique, elle-même liée à l’évolution des taux d’intérêt et du taux de croissance de l’économie concernée. Or, d’une part, selon le site du ministère des Finances consacré aux données de l’économie congolaise, la grande part des prêts multilatéraux à très long terme maintient le coût global de la dette publique congolaise à un niveau relativement bas, malgré le lancement du marché des titres publics. En effet, à fin décembre 2021, le taux d’intérêt moyen du portefeuille de la dette publique est de 1,00%. De l’autre, la RDC affiche des taux de croissance robuste, de loin supérieur à ce taux d’intérêt, qui ont frôlé parfois les 10 % : 8,9% en 2022 ; 7,8% en 2023 ; 4,7% attendus cette année.

Conséquence : en 2022, la RDC a obtenu une notation de BBB de la part de l’Agence Bloomfield, notation accordée aux émetteurs que l’on qualifie d’Investment grade, de bonne qualité car correspondant à un niveau de risque faible. En juin 2023, la même agence a affirmé la notation de BBB de la RDC et rehaussé la perspective à ‘‘positive’’.

Prudence et efficacité

Il est vrai que, malgré les améliorations récentes, la solvabilité de la RDC reste limitée par son très faible PIB par habitant, sa faible compétitivité, ses institutions encore faibles et la détérioration du risque politique, ainsi que sa capacité de financement intérieure très limitée et sa dépendance à l’égard des financements concessionnels extérieurs. Cependant, il faut insister sur le fait que la décision de relever les notes des émetteurs à B3 reconnaît le renforcement des perspectives économiques et budgétaires du pays favorisé par les améliorations institutionnelles soutenues par le programme du FMI qui a débuté en juillet 2021. La position extérieure du pays continue également de se renforcer, comme en témoigne l’accumulation de réserves de change officielles.

Dernière question : quelque faible qu’il soit, mais à quoi a servi ce récent endettement du pays ? D’abord, à d’importantes mesures à impact social majeur : la gratuité de l’enseignement, et la gratuité de la maternité en cours d’implémentation. Ensuite, à certaines infrastructures contenues dans le programme dit de 145 territoires.

La dette publique congolaise ne devrait donc pas soulever des inquiétudes outre-mesure. Bien au contraire, il faudrait plutôt saluer la prudence et l’efficacité avec lesquelles Félix Tshisekedi a géré et continue de gérer l’endettement du pays, veillant à ne pas le replonger dans les travers d’une dette paralysante pour l’économie et le social.

Belhar MBUYI