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Scandale : 21 maisons et 105 véhicules de l’Etat spoliés au Kasaï central : des députés veulent faire la lumière sur une maffia digne d’Al Capone

Vue de la ville de Kananga, capitale du Kasaï central. Photo : droits tiers

Décidément, le règne de John Kabeya Shikayi au Kasaï central n’aura-t-il été qu’un saccage de la province ? La question mérite d’être posée. Avec un bilan zéro de sa gouvernance, le seul domaine où l’ancien agent de l’ONATRA a excellé reste la spoliation des biens de l’Etat, en particulier le matériel roulant et le parc immobilier. Les véhicules et les maisons de l’Etat ont ainsi été bradés sans respecter le moins du monde la procédure en la matière.

Les véhicules de l’Etat d’abord. On rappelle ici la lettre du secrétaire général aux Infrastructures et Travaux publics, datée du 11 septembre 2007, adressée aux gouverneurs de la première législature de l’ère démocratique, et portant ‘‘procédures de vente des épaves de véhicules et/ou engins de l’Etat’’. Philippe Alembe Wemona y indiquait clairement que la vente des susvisés s’effectuait de deux manières. La première, qui constitue la norme, la vente publique aux enchères, après un appel d’offre dans la presse écrite, à la télévision et à la radio invitant le public à se présenter au lieu et jours fixés pour la vente aux enchères.

Après cette procédure peut intervenir une autre, qui est une exception : la vente de gré à gré. Mais le secrétaire général aux Infrastructures et Travaux publics ne la prescrivait que dans deux cas de figure. D’abord : «cette procédure est utilisée lorsque le véhicule affecté à un service et/ou affecté à la conduite d’un fonctionnaire tombe en panne et que les frais de réparation sont supportés, non par l’Etat, mais par l’utilisateur de ce véhicule et qui sollicite son acquisition». Ensuite : «la même disposition est d’application quant aux épaves et/ou engins des véhicules ayant fait l’objet de vente publique aux enchères et n’ayant pas trouvé de preneurs pendant cette opération». Tout est clair comme l’eau de roche du quartier Mpokolo.

Boulimie prédatrice

Malgré ces instructions qui ne font que rappeler la loi en la matière, le 7 novembre 2023, à la veille des élections générales, c’est-à-dire alors qu’il était fin-mandat, le gouverneur John Kabeya Shikayi signe un arrêté référencé 01/14/CAB/GP/KC/051/2023, et portant ‘‘désaffectation et vente de gré à gré des matériels roulants appartenant à la province du Kasaï central’’. Il décide donc directement la vente de gré à gré ! «C’est la catastrophe ! Est-ce que cet homme-là avait vraiment la capacité intellectuelle pour gérer une province ? Sa boulimie prédatrice l’emportait sur tout le reste», s’exclame un observateur. Par cet arrêté, il charge son ministre ayant les Infrastructures et les Travaux publics dans ses attributions – qui appose d’ailleurs son contreseing sur le document – de désaffecter et de mettre en vente de gré à gré les matériels roulants de l’Etat défectueux et immobilisés sur toute l’étendue de la province du Kasaï central‘’.

Le ministre des Infrastructures, Travaux publics et Reconstruction, Aménagement du territoire, Urbanisme et Habitat, et relations avec le Parlement, Willy Wishiya Bakatushipa, ne se fait pas prier, et procède vite à l’inventaire de tous les matériels roulants à désaffecter. Le 22 novembre 2023, par lettre référencée 628/CAB.MIN/ITPR/C.AF/UH/REP/RA/WWTB/2023, il transmet au gouverneur ‘‘l’attestation des prélèvements’’. La désaffectation porte ainsi sur un total de 105 matériels roulants certains ‘‘en panne’’, les autres ‘‘en bon état’’, dont 28 véhicules – essentiellement des Jeeps Toyota Land Cruiser – et 77 motos, surtout des Yamaha. Ces matériels roulants étaient utilisés dans le secteur de Santé, par des hôpitaux, des zones de santé, la division provinciale de la Santé etc.

Tous ces engins sont ainsi bradés de gré à gré. Des sources évoquent des prix tournant autour de 300 dollars pour une Toyota Land Cruiser, dans le cadre d’une entourloupe dont les bénéficiaires ont été les dirigeants de la province eux-mêmes. «C’est un scandale, un massacre des biens publics. C’est Ali Baba et les 40 voleurs, qui se sont partagés le charroi automobile de la province sous un vernis illusoire d’une désaffectation mafieuse», dénonce un animateur de la société civile.

Après le charroi automobile, le parc immobilier de la province. Des sources nous confient que de nombreuses maisons des quartiers huppés de Malandji – le centre-ville résidentiel – et de Salongo à Kananga II, sont ainsi passées à la trappe. Même des maisons occupées par des responsables de l’Etat. La procédure ? «La maison est vendue à un particulier qui se présente un jour chez vous avec tous les documents pour vous déguerpir. Devant votre mécontentement, le gouvernement vous offre un peu d’argent afin de vous permettre d’aller louer ailleurs», nous confie une source de la division provinciale de l’Habitat. Même la belle résidence du maire de la ville serait aussi vendue, profitant du fait que la maire actuelle, Rose Muadi Musube, habite dans une résidence familiale.

Pillage du portefeuille de la province

Ici aussi, on parle des dirigeants de la province, sans foi ni loi, qui auraient pillé copieusement le parc mobilier, et se seraient partagé les maisons de l’Etat avec leurs amis et membres de famille. Concernant les prix, on parle de 2.000 à 3000 dollars le prix d’une villa au centre-ville. «Avec Kabeya Shikayi, la province a connu un vrai gangstérisme politique, une maffia digne d’Al Capone qui a sublimé le crime organisé», assure un journaliste. Contacté, le ministre des Infrastructures et Travaux publics a nié tout en bloc, du moins en ce qui concerne la spoliation des maisons de l’Etat. «Je vous jure que nous n’avons spolié aucune maison de l’Etat, même pas un mètre carré», nous a déclaré Willy Wishiya. Et quand nous évoquons la résidence du maire de la ville, il répond : «elle est inoccupée parce que la maire n’a pas voulu y habiter. Mais elle n’est vendue à personne».

Pourtant, le 11 mars 2024, le chef de division de l’Habitat, M. Marcel Mutshipayi Kayembe, a adressé au même ministre qui est sa tutelle, la lettre numérotée 01/DIVPRO.HAB/KC/024/2024, avec comme objet : ‘‘maisons de l’Etat spoliées dans la ville de Kananga’’. Dans cette lettre, le chef de division répertorie vingt et une maison de l’Etat spoliées, et demande l’implication du ministre pour ‘‘remettre l’Etat congolais dans ses droits et retourner toutes ces maisons dans le répertoire de l’Etat’’. Question au ministre Wishiya : quelle suite avez-vous réservez au courrier de votre chef de division ? Réponse : «Euh… ce que … euh … je vous assure qu’il n’y a aucune maison vendue, à moins que je sois le ministre d’un autre ministère des Infrastructures et Travaux publics !»

Mais ces balbutiements ne font pas rire à l’Assemblée provinciale. Un groupe de députés nous a assuré qu’ils vont bientôt créer une commission parlementaire afin de faire la lumière sur ces spoliations et récupérer tout ce dont l’Etat a été dépossédé irrégulièrement, et de sanctionner tous ceux qui auront trempé dans le pillage du portefeuille de la province. Les mois à venir s’annoncent chauds au Kasaï central.

Aristote KAJIBWAMI