FINANCE ”Foragegate” – Nicolas Kazadi : la chute du corbeau noir

”Foragegate” – Nicolas Kazadi : la chute du corbeau noir

Le 27 avril dernier, Nicolas Serge Kazadi Kadima-Nzuji, ministre des Finances, est proprement humilié à l’aéroport de Ndjili où il est débarqué d’un avion alors qu’il faisait partie de la délégation qui devait accompagner le président Félix Tshisekedi en Allemagne, et, ensuite, à Paris. Ce que l’homme ignorait que le même jour dans la journée, le procureur général près la Cour de cassation, Firmin Nvonde, avait enjoint la DGM – Direction générale des migrations – d’empêcher toute sortie du territoire national à Nicolas Kazadi, ministre des Finances ; son collègue du développement Rural François Rubota Masumbuko, ainsi que le prédécesseur de ce dernier dans ce ministère, Guy Mikulu, consécutivement à une enquête sur l’affaire dite des forages.

Dans le symbolisme animal depuis l’antiquité, le corbeau a toujours symbolisé l’escroquerie, la manipulation et la tromperie. Rien d’étonnant que, dans les milieux des cabinets ministériels, les agents en quête de paiement de leur dû ont surnommé Nicolas Kazadi le corbeau noir. Empreint d’orgueil, l’argentier national se donnait le droit de vie ou de mort financière pour quiconque se trouvait dans le pipeline d’attente de son précieux sésame – sa signature – pour l’ordonnancement de son paiement. Même ses collègues ministres pâtissaient de son mépris lordsqupour signer leurs dossiers. Alors qu’il se rêvait secrètement en successeur de Félix Tshisekedi, et après avoir réussi à se faire élire député national et député provincial afin de se donner la légitimité politique qui lui faisait tant défaut, l’homme est finalement rattrapé par une ténébreuse affaire de surfacturation. Retour sur une scabreuse affaire qui a entraîné la chute du corbeau noir.

Repris de justice

Tout commence lorsque, le 21 avril 2021, pendant que le gouvernement Ilunga démissionnaire expédie les affaires courantes, le ministre Guy Mikulu Pombo signe avec un consortium réunissant mes sociétés Stever Construct Cameroun SARL et SOTRAD Water, et représenté par Mike Kasenga Mulenga – le même qui avait englouti des millions sans produire le moindre kilomètre de route dans son Kasaï central d’origine – un contrat portant sur la construction des forages – unités solaires de pompage et de traitement d’eau et de stations mobiles de traitement d’eau de capacités respectives de 2,5 ; 5 et 10 m3 par heure.

Aux termes de ce contrat, Stever Construct Cameroun et Sotrad Water s’engagent à installer 1000 forages dans un total de 1000 localités à travers le territoire national. Le prix convenu est de 398 982 383 dollars, ce qui fait qu’un forage revient à … 398 982 dollars US ! La surfacturation saute à l’œil nu. L’article 7 du contrai précise que ce dernier est ‘‘forfaitaire’’, c’est-à-dire que le consortium s’engage à fournir les ouvrages, moyennant un prix fixé d’avance et de façon invariable, pour l’ensemble des travaux qui y sont définies. Déjà, une question se pose : comment le gouvernement a-t-il pu signer un contrat avec un repris de justice qui a été condamné en 2009 pour escroquerie suite à un contrat non respecté ?

Six jours plus tard, un nouveau gouvernement, dirigé par Sama Lukonde, est mis en place. François Rubota, surnommé Roboti-Robota par ses proches, du nom d’une danse de Choc Stars des années 80 à cause de son amour de cet orchestre pendant ses année d’études, remplace Guy Mikulu au Développement rural. Et François Kazadi prend les rênes des Finances en remplacement de Sélé Yalaguli. Le nouveau ministre des Finances remarque le prix exorbitant des forages attendus dans ce contrat, et invite son collègue du Développement rural à renégocier les termes du contrat. La renégociation du contrat aboutit à l’augmentation du nombre des forages à construire de 340 unités, ce qui porte le total des ouvrages attendus à 1 340. Mais le prix reste le même, ce qui fait que le prix unitaire passe à 297 748 dollars américains.

Les carottes sont cuites

Sans se poser trop de questions face à ce prix trop visiblement élevé, celui qu’on surnomme désormais ‘‘Tutu Nico wa Forages’’ (grand-frère Nicolas des forages, en Tshiluba) se précipite, et décaisse 71 millions de dollars pour la construction de 241 forages. Entre temps, Mike Kasenga affirme avoir déjà construit 241 forages, vite démenti par les syndicalistes du développement rural, qui parlent de seulement 32. Après une enquête de l’IGF, l’affaire est révélée au public, et la justice s’en saisit. Selon des sources des enquêteurs du Parquet général, les comptes de Stever de Mike Kasenga sont déjà vides. Une bonne partie des fonds a été transférée à l’étranger, et une autre partie aurait été retirée en espèces à Kinshasa par le biais d’un bureau de change. Les équipements présents en RDC ne permettent que la réalisation de 135 forages sur les 1340 prévus. Le prix réel du forage serait de 45 000 USD, et non 297 000 USD. La surfacturation est estimée à près de 60 millions USD sur les 71 millions USD payés. C’est la mafia au top. Le Parquet général près la Cour de Cassation adresse une réquisition à tous les établissements bancaires afin d’inventorier les comptes ouverts au nom de Nicolas Kazadi, et «de procéder au gel desdits comptes jusqu’à nouvel ordre».

Bousculé de partout, dénoncé par la presse comme le voleur en chef du régime, Nicolas Kazadi sollicite un entretien avec le chef de l’Etat. Félix Tshisekedi le reçoit dans la nuit du 11 mai, mais prend de convier Jules Alingete à la discussion. Pris en étau, l’homme n’a pas su convaincre. Le président de la République lui a juste assuré que la justice fera son travail sur ce dossier en toute indépendance. La carottes sont cuites pour Nicolas Kazadi, ce ministre raillé par Noël Tshiani qui le traire d’ «économiste généraliste» pour son incompétence en matière monétaire, et qui s’est cassé les dents dans sa lutte contre l’inflation, annonçant à chaque fois des mesures illusoires qui faisaient s’esclaffer de rire les milieux économiques du pays. Désormais, son maintien au gouvernement est définitivement compromis, et sa chute politique inéluctable.

Aristote KAJIBWAMI