Le président Félix Tshisekedi et sa Première ministre Judith Suminwa sont tous deux des enfants de la Belgique en quelque sorte, pour avoir vécu de longues années dans l’ancienne métropole du Congo. Le premier s’y est installé en 1982, suite à la persécution dont était victime alors son père, Etienne Tshisekedi, coupable aux yeux du gouvernement du maréchal Mobutu de mener un combat pour la démocratisation du pays. Il y a vécu 36 ans, soit la majeure partie de sa vie, et ne s’est réinstallé définitivement en RDC qu’à la suite de son élection à la présidence de la République en 2018. La seconde y a passé une vingtaine d’années pour raisons d’études. C’est en Belgique qu’elle a obtenu un master en Sciences du Travail – Administration et gestion du personnel, orientation Travail dans les Pays en Développement délivré par l’Université libre de Bruxelles (ULB) ; une licence en sciences économiques appliquées, option gestion financière, de Facultés Universitaires catholiques de Mons (FUCAM) – Belgique ; ainsi qu’un graduat en comptabilité de l’Ecole de promotion et de formation continue (EPFC) à Bruxelles. Pour peu, des observateurs se seraient imaginé que le couple au sommet de l’exécutif congolais prendrait exemple sur la Belgique – championne toutes catégories de négociations pour former des coalitions gouvernementales – pour la formation du gouvernement.
En effet, les dernières élections législatives belges ont eu lieu le 26 mai 2019, et ont vu la victoire relative de la Nouvelle Alliance Flamande, NVA, de Barth Wever avec 25 sièges sur les 150 que compte la Chambre des représentants – équivalent de l’Assemblée nationale en RDC. Cependant, le refus de nombreux partis de coaliser avec ce parti populiste et séparatiste que certains classent à l’extrême-droite de l’échiquier politique belge, fait qu’il a fallu attendre le 1er octobre 2020 pour voir sept partis sur les 12 représentés à la chambre former finalement une coalition. Il s’agit du PS (Parti socialiste francophone), du CD & V (Démocrates-chrétiens flamands), de l’Open Veld (Libéraux démocrates flamands), du MR (Mouvement réformateur), du Vooruit (parti social-démocrate flamand), d’Ecolo (parti écologiste francophone), et de Groen (parti écologiste flamand). Une majorité de 88 sièges, soit 58% de la Chambre des représentants.
La répartition des postes s’est faite avec un incroyable sens élevé d’équité : avec ses 20 sièges, soit 22,7% de la majorité, le PS, premier parti de la coalition, obtient quatre membres au gouvernement (3 ministres et 1 secrétaire d’Etat), soit 22,2% des membres d’un exécutif qui en compte 20 au total (15 ministres et 5 secrétaires d’Etat). Le MR (15,9% de la majorité), Ecolo (14,7%), le CD & V (13,6%), et Open Veld (13,6%), obtiennent chacun 3 membres au gouvernement (deux ministres et un secrétaires d’Etat), soit 15% de l’exécutif chacun. Avec 9 sièges (10,2% de la majorité), Vooruit obtient deux postes de ministres, soit 10% du gouvernement, autant que Groen avec ses 8 élus (9%). Avec une précision au couteau, chaque parti a obtenu au gouvernement quasiment l’équivalent de sa représentativité au sein de la coalition majoritaire. Même les ‘‘ministères à prééminence protocolaire’’, ont été partagés avec justice : chacun des sept partis de la coalition dispose d’un poste de vice-Premier ministre. En outre, les ministères régaliens ont été répartis de manière équitable : les Affaires étrangères au MR, la Défense au PS, les Finances et l’Intérieur au CD & V, la Justice à Open Veld.
Alliés réduits à l’impuissance
En RDC, les deux enfants de la Belgique n’en ont cure du modèle qu’ils sont vu s’appliquer pendant leurs longues années d’exil. Ils ont simplement tout pris pour eux seuls, réduisant leurs partenaires à la portion congrue, voire à leur plus simple expression. En effet avec une assemblée nationale composée, pour l’instant, de 468 députés nationaux, et où la majorité Union sacrée de la Nation (USN) compte 437 élus, l’UDPS dispose de 69 sièges, soit 15,3% de la majorité. Mais elle s’adjuge 12 membres du gouvernement, soit 22,2%. Le parti du président de la République ne fait pas dans la dentelle : trois des six vice-primatures, soit 50% ; quatre des dix ministères d’Etat, soit 40%. En plus, il prend à lui tout seul tout ce qui compte comme ministères régaliens et d’importance : Intérieur, Sécurité et Affaires coutumières ; Défense nationale et Anciens combattants ; Affaires étrangères et Coopération internationale ; Finances ; Infrastructures entre autres.
Deuxième force de la majorité, le bloc UNC de Vital Kamerhe ne doit se contenter que de 4 maroquins : un ministère d’Etat en charge du Budget confié à Aimé Boji que l’UNC n’avait jamais présenté et que le président et sa Première ministre ont nommé derechef. Réduite à néant, carrément au rang d’un grain de poussière, l’AFDC-A de Modeste Bahati Lukwebo, avec ses 27 élus, n’obtient que deux ministères sans envergure : le Travail et emploi, vidé de sa vraie substance, à savoir la prévoyance sociale, pouvoir de tutelle de la CNSS et de l’INPP, deux grandes institutions à liquidité désormais rattachées au ministère de la Santé confié, comme par hasard, à l’UDPS Roger Kamba. S’il avait brandi ses muscles, exigeant d’être inclus au gouvernement avec rang de vice-Premier ministre, Bahati Lukwebo n’a arraché, de haute lutte, que la peau de l’ours bien poilue. Le président de l’AFDC-A, qui s’est toujours donné beaucoup de peines pour gagner le plus grand nombre d’élus à chaque cycle électoral, dans l’espoir de peser sur les enjeux et s’assurer une bonne position au sommet de l’Etat, a simplement cessé d’exister.
Ancien belligérant signataire de l’Accord de Sun City qui lui avait confié un poste de vice-président de la République en charge de l’économie et finances, 7 ministres et 4 vice-ministres, le MLC est aujourd’hui réduit à une petite force d’appoint qui ne compte que deux maroquins au gouvernement, malgré ses 22 élus, soit autant qu’un regroupement comme AACPG qui ne compte, pourtant que 8 sièges. S’il a roulé dans la boue pendant la campagne du président Félix Tshisekedi, ramenant le débat à des niveaux exécrablement bas pour plaire au chef de l’Etat, Bemba récolte aujourd’hui le mépris d’un partenaire qui n’a nulle considération pour sa personne.
L’ACP de Gentiny Ngobila n’obtient aucun poste au gouvernement, malgré ses 9 députés, alors que, avec le même nombre d’élus, CODE de Jean Lucien Bussa Tongba hérite du ministère du Portefeuille, et qu’un regroupement comme FPAU, qui ne totalise que 4 élus, se voit attribuer deux postes : ministre déléguée en charge des Personnes vivant avec handicap et vice-ministre du Budget. Plus étonnant encore, le regroupement AADD, avec zéro élu, a pu faire reconduire son chef, Godard Motemona Giboulum, comme vice-ministre des Mines.
En clair, bon connaisseur du landerneau politique congolais, le chef de l’Etat a décidé d’en faire à sa tête, comme bon lui semble, sans s’en référer à personne. Il a donc fait le choix d’écraser ses alliés, sachant parfaitement bien que, sans personnalité ni idéal, ils sont réduits à l’impuissance. Quiconque oserait la révolte se verrait dénoncé et exclu de son parti par ses propres troupes, si enclines à demeurer au sein d’une mangeoire où se partagent prébendes et autres avantages peu recommandables. A terre, copieusement roulés dans la farine, nombre de chefs de partis et regroupements politiques qui n’ont découvert leur exclusion du gouvernement qu’à la télévision comme tout le monde, n’ont d’autre choix que de s’incliner. Et d’emboucher la trompette de louanges passablement hypocrites à l’endroit du président de la République qu’ils remercient pour la confiance qu’il leur a témoignée – «et qu’il a cessé de leur témoignée», ajoutent les langues fourchues.
Malgré les démentis et faux semblants, le gouvernement Suminwa est très déséquilibré, et le mécontentement bat son plein au sein de l’USN. A la réunion du vendredi 31 mai dernier, Vital Kamerhe et Modeste Bahati se sont fait représenter. Il reste à savoir jusqu’où peut conduire, à moyen terme, cette marginalisation des alliés au cours d’un mandat qui promet quant à l’importance des enjeux politiques à venir.
La représentativité des partis et regroupements de l’Union sacrée dans la majorité et au gouvernement
Numéro | Partis et regroupements | Nombre d’élus | Nombre de membres au gouvernement | Postes au gouvernement |
01. | UDPS/T | 69 (15,37%) | 12 (22,22%) | VPM Intérieur, VPM Défense, VPM Fonction publique, MinEtat Affaires étrangères, MinEtat Education, MinEtat Infrastructures, MinEtat Affaires foncières, Min Finances, Min Santé, Min ESU, MinDél Coopération, Vice-Min Intérieur. |
02. | UNC et mosaïque | 38 (8,6%) | 4 (7,4%) | MinEtat Budget, Min Hydrocarbures, MinDél Politique de la ville, Vice-Min Education |
03. | PEP-AAAP (AAAP+AMSC+AUN) | 35 (8%) | 3 (5,5%) | VPM Economie, Min Industrie et développement PME, Min Tourisme |
04. | AFDC-A et mosaïque | 27 (6,17%) | 2 (3,7%) | Min Emploi et Travail, Min Formation professionnelle |
05. | AB | 26 (5,9%) | 3 (3,7%) | Min Urbanisme et Habitat, Vice-Min Affaires étrangères, Vice-Min Hydrocarbures |
06. | MLC et mosaïque | 22 (5,03%) | 2 (3,7%) | VPM Transports, MinEtat Environnement |
07. | 2A/TDC | 21 (4,8%) | 1 (1,8%) | Min Droits humains |
08. | AB/50 | 20 (4,57%) | 2 (3,7%) | Min Commerce extérieur, Vice-Min Finances |
09. | AACPG | 16 (3,6%) | 2 (3,7%) | Min Pêche et Elevage, Vice-Min Défense |
10 | 4AC | 16 (3,6%) | 0 (0%) | |
11 | A24 | 15 (3,43%) | 2 (3,7%) | Min Affaires sociales, Min Jeunesse et Eveil patriotique |
12 | ANB | 13 (2,9%) | 2 (3,7%) | MinEtat Aménagement du territoire, Min Communication |
13 | AA/C | 10 (2,8%) | 0 (0%) | – |
14 | CODE | 9 (2%) | 1 (1,8%) | Portefeuille |
15 | AACRD | 9 (2%) | 1 (1,8%) | Vice-Min Justice |
16 | ACP | 9 (2%) | 0 (0%) | – |
17 | AAD-A | 8 (1,8%) | 1 (1,8%) | Min Développement rural |
1819 | AABG | 8 (1,8%) | 2 (3,7%) | VPM Plan, Min Ressources hydrauliques et Electricité |
20 | AV | 7 (1,6%) | 0 (0%) | – |
21 | A3A | 7 (1,6%) | 0 (0%) | – |
22 | AAeC | 7 (1,6%) | 0 (0%) | – |
23 | AN | 7 (1,6%) | 0 (0%) | – |
24 | AAC-PALU | 7 (1,6%) | 1 (1,8%) | Min Intégration régionale |
25 | ATUA | 6 (1,3%) | 0 (0%) | – |
26 | AVC-A | 5 (1,1%) | 1 (1,8%) | Min Sports et Loisirs |
27 | FPAU | 4 (0,9%) | 2 (3,7%) | MinDél personnes vivant avec handicap, Vice-Min Budget |
Aristote KAJIBWAMI