Considéré par l’opinion publique comme le père de la pègre congolaise, le pape de la mafia et des détournements, et le symbole personnifié de la corruption du régime actuel, Nicolas Kazadi a voulu donner de la voix. Afin de se défendre de tant d’accusations, et rétablir une image durablement écornée. Surnommé volontiers par de nombreux congolais ‘‘Tutu Nicolas wa lampadaires ne forages’’ (Grand frère Nicolas de lampadaires et forages, en Tshiluba) à cause de son implication présumée dans les deux dossiers de détournements d’un total de plus de 400 millions de dollars – dossiers dont il a été acquitté par la justice – l’homme a démenti être un ‘‘Monsieur 30%’’, c’est-à-dire un ministre des Finances qui dans l’exercice de ses fonctions, exigeait 30% de toute somme à payer aux créanciers de l’Etat. Il a même mis au défi quiconque apporterait la preuve d’une telle réalité. Des témoignages sortis de placards retentissent, pourtant, très forts contre l’ancien argentier national.
Nicolas Kazadi, un honnête homme qui déteste les rétrocommissions, et ne s’est jamais livré à cette pratique ? C’est ce qu’a affirmé le député UDPS de Miabi au Kasaï oriental, et ancien ministre des Finances, provoquant un tonnerre de rires dans la ville haute autant que dans les bas quartiers de Kinshasa. En trois années passées à la tête du ministère des Finances, l’homme s’est bâti une solide réputation de mafieux que cette banale interview ne peut pas laver. A l’heure des comptes, ce sont des accusations et des faits qui s’amoncellent contre lui.
La première salve émane d’une respectable personnalité de la société civile congolaise, un des gardiens de la conscience du pays, le professeur Florimond Muteba. Président de l’Observatoire de la dette publique, l’homme est connu depuis plusieurs années pour son combat, plus qu’honorable, pour la rectitude dans la gestion des ressources de l’Etat et contre les détournements des deniers publics. Il accuse Nicolas Kazadi d’avoir, dans la liquidation de la dépense publique, privilégié le paiement de la dette intérieure, parce qu’il en tirait profit par des rétrocommissions.
‘‘Il décote la dette’’
«Monsieur Nicolas Kazadi jouait beaucoup avec la dette intérieure, c’est-à-dire que, quand sur toute la situation de la dette publique, vous constaterez que si on avait prévu 50 millions de dollars pour la dette intérieure pour une année budgétaire. donnée, on va clôturer cette année avec 100, voire 200 millions de dollars. Donc, il dépasse ce qui est prévu. Pourquoi ? Parce que la dette publique commerciale est une dette qui est facilement négociable avec les crédits. On leur dit : ”on vous doit 100 millions de dollars, mais on vous donne 30 millions”. On décote la dette. Et ça, monsieur Kazadi l’a beaucoup fait. Ainsi, les 70 millions de dollars se volatilisent entre eux. Vous comprenez pourquoi il privilégie la dette intérieure : parce que ça leur permettait, à lui et à ses complices, tous ceux qui sont dans la chaîne de la dépense, de se mettre plein d’argent dans les poches», déclare-t-il, avec sa sérénité légendaire au micro de notre excellente consœur Elysée Odia.
A la question de savoir si M. Kazadi peut le traduire en justice, le président de l’ODEP répond : «Je suis d’accord, qu’il le fasse». Nicolas Kzadi ne bronchera pas. D’autant que, quelques jours plus tard, le rapport de la Cour des comptes confirme que dans l’exécution du budget 2023, Nicolas Kazadi a effectivement priorisé le paiement de la dette intérieure. «51,2% des dépenses du budget, soit plus de la moitié des dépenses du budget 2023, ont été exécutés sans que les structures habilitées ne constatent l’obligation de payer, sans que le ministère du Budget ne vérifie la conformité des dossiers et l’exactitude des montants à payer. Ces dépenses en mode d’urgence sont effectuées en dehors de la chaîne de la dépense, c’est-à-dire par des simples lettres du ministre des Finances au caissier de l’Etat, comme dans une véritable république bannière», s’emporte Christian Mwando Nsimba, président du groupe parlementaire Ensemble, lors du débat sur la reddition des comptes à l’Assemblée nationale.
L’alors ministre des Finances a procédé au remboursement de la dette publique intérieure en dépassant de 504% les crédits alloués. C’est déjà un scandale. Mais plus grave : le paiement de cette dette intérieure a été effectué par procédure d’urgence, pour la somme de 778 milliards de francs (soit 385 millions de dollars américains au taux budgétaire 2023 de 2021,9 FC pour 1 dollar US, NDR), dont 451 milliards de francs (223 millions de dollars américains) de dettes commerciales non certifiées. Question : quel était l’intérêt de Nicolas Kazadi de privilégier à ce point la dette intérieure, bien souvent non certifiée ? Poser la question, c’est déjà y répondre.
Amuser la galerie
Car les témoignages ne manquent pas sur le comportement de cet ancien ministre des Finances. Le premier est de Gabriel Mokia Mandembo, homme d’affaires et politicien membre de l’Union sacrée. Il date de début janvier 2022, pendant que Nicolas Kazadi était encore au ministère des Finances. L’homme politique raconte la mésaventure qu’il a vécue personnellement avec lui pour le paiement de sa créance : «Le Ministre d’Etat du Budget ayant envoyé les soubassements de nos DTO à son collègue du Gouvernement, le Ministre des Finances a estimé être en droit de ne pas nous payer lorsque nous sommes allés le voir et qu’il avait encore un brin d’humanité. Oubliant que nous, nous sommes connus pour être de vrais alliés du président de la République. Car nous nous battons pour le chef de l’Etat, moi et mon aîné Maurice, alors que lui Nicolas Kazadi n’a ni milité, ni combattu pour le Chef de l’Etat. Ceci n’est pas du chantage. Il faut savoir faire le distinguo entre les hommes qui sont avec vous… Et ne pas chercher noise à des personnes en leur rendant la vie difficile comme pour leur compliquer l’existence. Ou en leur faisant des exigences ou en leur imposant quoi que ce soit. Au point d’exiger une rétrocommission de 700.000,00 USD si nous voulons qu’on paie nos DTO en souffrance. Mais pourquoi n’y a-t-il personne pour réagir ?».
La complainte de Mokia ne suscitera aucune réaction, ni de la justice, ni de la présidence et encore moins de la primature. Mieux : Nicolas Kazadi est resté lui aussi silencieux, sans jamais ester en justice contre son accusation.
Deuxième témoignage : il y a quelques mois, c’est au tour de M. Adios Engongo Alemba, ancien président de la Société nationale des éditeurs, compositeurs et auteurs, SONECA, de porter les mêmes accusations contre l’ancien ministre des Finances. Au cours d’une émission sur la chaîne de télévision B-One, il a révélé qu’au cours de l’année 2021, le chef de l’Etat avait demandé au gouvernement de payer les droits d’auteurs à la SONECA, pour un total de 25 millions de dollars. La banque avait dégréné quelques frais, et le net à percevoir s’élevait à 24,4 millions de dollars US. Mais arrivé devant Nicolas Kazadi, ce dernier lui avait dit que s’il voulait être payé, il devait accepter de signer pour les 24 millions de dollars promus, mais percevoir en réalité 12 millions, soit la moitié. Les 12 autres millions sont restés entre les mains de Nicolas Kazadi. «Je n’avais pas le choix, j’ai signé pour 24 millions de dollars, et j’ai touché 12 millions», a déclaré Adios Alemba au micro de Papy Mboma à l’émission B-One Music. Cette accusation frontale n’a non plus suscité la moindre réaction ni de Nicolas Kazadi, ni du président de la République, de la Première ministre, et encore de la justice.
Que Nicolas Kazadi vienne donc aujourd’hui prétendre chercher qui peut démontrer un seul cas d’une exigence de rétrocommission le concernant, cela revient simplement à amuser la galerie. «Là où M. Kazadi a raison, est qu’il a démenti à bon droit ce qu’avait déclaré le journaliste qui lui a posé la question, et qui avait parlé de l’exigence par lui de rétrocommissions de 30%. Non, ce n’est pas 30% qu’il exigeait, mais plutôt 50%», analyse un observateur.
Mbuta MAKIESSE