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Communication de crise : entre réaction et stratégie, Mutamba vs Kazadi, deux écoles face à la tempête (Tribune)

Les récents dossiers judiciaires impliquant deux figures politiques congolaises, Constant Mutamba et Nicolas Kazadi, ont révélé non seulement des écarts de comportement, mais aussi des différences fondamentales dans la gestion de la crise. Au-delà du tumulte politique, ces deux cas offrent un terrain d’analyse fécond pour évaluer la pertinence  ou non de leurs approches à la lumière des grandes écoles de la communication de crise.

I. Comprendre la crise : du silence stratégique à l’exposition émotionnelle

La première leçon en communication de crise, selon Timothy Coombs (2007), est que toute crise exige une lecture juste de la situation avant de définir une stratégie. Le modèle SCCT (Situational Crisis Communication Theory) que propose Coombs distingue trois dimensions essentielles qui sont, la responsabilité perçue, l’historique de gestion de crise, et la réputation préexistante.

Nicolas Kazadi a saisi la nature sensible et institutionnelle de la crise. Il a opté pour ce que W. Benoit appelle une “stratégie de réduction de l’offensivité”, en se retirant du bruit médiatique et en mobilisant en coulisses les leviers politiques légitimes. Ce silence maîtrisé a permis de préserver son image et de déléguer la défense à des structures crédibles.

Constant Mutamba, au contraire, s’est lancé dans une communication frontale, adoptant une posture de “victime d’un complot”. Selon Claude-Jean Bertrand, ce type de réaction peut paraître sincère mais devient contre-productif si elle n’est pas accompagnée de preuves solides et d’une posture de responsabilité. Ce fut une exposition émotionnelle plus qu’une stratégie.

II. Le choix du registre : émotion contre rationalité

Selon Patrick Lagadec, expert en gestion des situations extrêmes, « dans une crise, c’est moins l’ampleur des faits qui compte que la capacité à garder la tête froide pour gérer la perception. »

Kazadi s’est inscrit dans une posture rationnelle, respectueuse des institutions. Il a laissé le Parlement travailler selon ses règles, tout en construisant un canal discret de communication politique, ce qui correspond à ce que Robert Heath appelle une “communication de résilience”.

Mutamba, lui, a opté pour un registre passionnel, populiste, parfois agressif, qui peut fonctionner en campagne électorale, mais rarement en contexte judiciaire. Il n’a pas su créer un « cadre interprétatif cohérent », comme le recommande Erving Goffman dans l’analyse des frames. Résultat, une communication désorganisée, instable, qui a affaibli sa légitimité.

III. L’erreur de posture : confusion entre politique et judiciaire

L’un des éléments les plus critiques dans la gestion de crise est la capacité à distinguer les espaces de pouvoir. La crise qui touche un acteur politique dans un contexte judiciaire ne peut être traitée avec les outils de la polémique politique.

Kazadi l’a compris, il n’a pas brouillé les rôles. Il a évité de mêler UDPS, l’exécutif et l’Assemblée, respectant la ligne républicaine. C’est ce que François-Bernard Huyghe appelle une posture de « continuité du discours d’État ».

Mutamba, au contraire, a confondu sa double casquette de ministre et de politique. Il a fait de sa défense un combat idéologique, ignorant les règles d’asymétrie propres à la communication judiciaire, où chaque mot peut devenir une pièce à charge.

IV. Une crise d’image, pas de génération

Certains observateurs tentent de lire ces deux affaires à travers le prisme d’un conflit générationnel : jeune Mutamba face à une élite établie incarnée par Kazadi. C’est une erreur de cadrage. Le différentiel n’est pas générationnel, il est stratégique.

Comme le dit Laurent Habib, ancien conseiller en communication de crise : « L’âge n’est pas une compétence. Seule la capacité à diagnostiquer la crise et à construire une parole utile fait la différence. » Et sur ce terrain, Kazadi a agi en stratège, Mutamba en réactionnaire.

La crise comme révélateur d’intelligence stratégique

En conclusion, ces deux affaires révèlent une vérité simple mais implacable, dans une crise, le discours ne sauve que s’il est adossé à une stratégie lisible, stable et connectée à la réalité institutionnelle.

Nicolas Kazadi a choisi le silence, la discrétion et la méthode. Constant Mutamba, lui, a opté pour l’agitation, la dénonciation et l’émotion. L’un a gardé son immunité, l’autre l’a perdue. La leçon est claire, en politique comme en communication, toute crise mal lue devient une descente.

Référence :

Cette analyse s’appuie sur les travaux de Coombs (2007), Benoit (1995), Lagadec (2003), Goffman (1974), Heath (2010), Bertrand (2000), Huyghe (2018) et Habib (2018), spécialistes reconnus de la communication de crise, politique et institutionnelle.

Par Merveille LUNDULA DIKOMA , expert en stratégie de communication