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TRIBUNE – Aréna, Marriott, mille maisons : Quand Fwamba réécrit les dossiers pour masquer ses propres blocages et sabotages

Dans une démocratie responsable, les membres d’une même majorité au pouvoir sont liés par un principe de solidarité et de cohérence politique. Ils partagent collectivement la responsabilité de l’action gouvernementale qui est conduite sous la direction du président de la République, et sont comptables, devant le peuple, des décisions prises par leur équipe. Il est donc insensé, voire contre-productif, que des ministres successifs issus de la même majorité se livrent à une guerre fratricide contre leurs prédécesseurs dans le seul but de se mettre en valeur. Un tel comportement revient à fragiliser l’autorité de l’ensemble du gouvernement, pourtant conduit par le même chef de l’État, et à semer le doute dans l’opinion sur la crédibilité de la majorité elle-même.

C’est le cas de Doudou Fwamba, actuel ministre des Finances, dont les récentes déclarations sur Top Congo au sujet du projet de l’hôtel Marriott et du chantier de l’Arena de Kinshasa, suscitent une vive controverse. En accusant son prédécesseur, Nicolas Kazadi, d’avoir conclu des accords défavorables à l’État congolais, le ministre a jeté le doute sur la transparence et la gestion des grands projets publics. Mais l’analyse des faits rétablit une tout autre vérité : les accusations portées par M. Fwamba apparaissent infondées, et les décisions prises sous la gestion de Nicolas Kazadi étaient non seulement conformes à la loi, mais aussi elles s’inscrivaient dans une logique de haute portée stratégique.

Le dossier Marriott : une polémique sans fondement

Contrairement aux affirmations de Doudou Fwamba, aucun contrat de concession n’a jamais été signé avec l’opérateur hôtelier Marriott ou avec Milvest. Il ne s’agissait que d’un accord de principe, d’une page, permettant à l’investisseur Milvest d’engager à son tour une relation avec l’hôtelier Marriott dans le cadre d’un futur projet en B.O.T (Build Operate Transfer, méthode de réalisation de projet dans laquelle une entité privée conçoit, finance, construit et exploite un projet d’infrastructure publique pendant une période déterminée, puis transfère la propriété au secteur public) avec l’Etat congolais.

Un projet de contrat était effectivement en discussion. Ses principaux points prévoyaient :

  • une prise en charge du gros œuvre (6,8 millions USD) par le ministère des Finances, déjà exécutée, et qui devait être remboursé à l’Etat par l’investisseur Milvest à la signature du contrat ;
  • un investissement complémentaire de 68 millions USD par Milvest jusqu’à l’ouverture de l’hôtel. Il ne s’agissait donc pas d’un investissement de l’Etat avec l’argent public comme l’a affirmé Doudou Fwamba, mais bien d’un B.O.T. ;
  • une concession de 49 ans accordée à l’investisseur ;

Un B.O.T de 49 ans pour un hôtel haut de gamme n’a rien d’exceptionnel : c’est un standard international. En matière hôtelière haut de gamme, les concessions publiques ne se comptent pas en années mais en générations. Quant aux contrats d’exploitation, faut-il rappeler que le groupe Intercontinental a exploité l’actuel Pullman de Kinshasa pendant plus de 40 ans, tandis les hôtels du Fleuve Congo, Karavia ou encore la Rwindi ont été sous contrat durant 35 ans ou plus. Un contrat BOT, ce n’est pas une location à court terme : c’est un mariage financier et juridique de plusieurs décennies. Présenter une concession de plusieurs décennies comme un ‘cadeau à vie’ relève soit de l’ignorance, soit de la manipulation politique.

Pendant toute la durée de l’exploitation, Milvest/Marriott devait reverser des royalties au ministère des Finances — une manne directe pour l’État. Le taux faisait encore l’objet de discussions : 5 % du chiffre d’affaires exigés par le ministère, contre 3 % proposés par l’investisseur. Et loin d’être exonéré, l’exploitant restait pleinement soumis au régime fiscal congolais, comme n’importe quelle entreprise locale. Autrement dit, l’État encaissait à la fois des impôts et une redevance d’exploitation, sans débourser un centime pour la construction.

Dans la vision stratégique portée par Nicolas Kazadi, alors ministre des Finances, les royalties générées par l’exploitation de l’hôtel devaient abonder le Fonds d’Investissements Stratégiques (FIS), qu’il avait mis en place avec l’appui du ministère du Portefeuille et destiné à devenir le propriétaire final de l’hôtel. L’idée était limpide et ambitieuse : doter l’État d’un instrument souverain capable de générer des revenus pérennes dès sa création et de financer à terme d’autres projets structurants, sans dépendre exclusivement des bailleurs extérieurs.

C’est exactement ce type de mécanisme qui a permis aux Émirats arabes unis et au Qatar de transformer des actifs publics en leviers puissants de diversification économique — un modèle que les dirigeants congolais aiment citer, sans jamais l’appliquer avec la même constance.

Mais au lieu de consolider cette architecture, certains l’ont méthodiquement détruite, mêlant incompétence technique, calculs politiques mesquins et populisme administratif. Des années de vision ont été balayées en quelques mois, remplacées par des discours creux et des blocages absurdes.

C’est là la malédiction congolaise : saboter ses propres réformes, étouffer ses propres innovations, et se tirer une balle dans le pied au nom de querelles intestines. Là où d’autres bâtissent patiemment des modèles économiques durables, nous préférons défaire ce qui marche… simplement parce qu’il a été lancé par un autre.

À force de transformer chaque dossier en champ de bataille politique, le gouvernement finit par travailler contre lui-même, tout en donnant une piètre image du régime.

Conséquence directe : blocage total.

Le projet de l’hôtel Marriott est aujourd’hui à l’arrêt complet, victime d’une désorientation politique et administrative au sommet du ministère. Lors des échanges avec l’IGF sur le projet du Centre Financier, Jules Alingete avait déjà affiché une méconnaissance flagrante du principe même de BOT. Son allié Doudou Fwamba ne fait guère mieux. Ensemble, ils forment un duo dont la gestion erratique mêle approximations techniques, fausses alertes et attaques politiciennes, avec des effets dévastateurs.

Ironie du sort, malgré l’absence de signature formelle du contrat au départ de Nicolas Kazadi, Milvest avait accepté — à la demande expresse du Chef de l’État — de préfinancer le vitrage intégral de la tour, pour qu’elle présente un visage achevé lors de l’inauguration du Centre de conférence le 18 décembre 2023. Coût de l’opération : 3 millions USD, dont 1 million en affrètement aérien d’urgence.
Cette avance n’a jamais été remboursée et pourrait ne jamais l’être. Résultat : un investisseur privé floué, une crédibilité nationale écornée, et un signal désastreux envoyé aux partenaires étrangers.

Dans les milieux d’affaires, ce genre d’épisode laisse des traces : « pourquoi investir dans un pays qui sabote ses propres projets et ne respecte pas ses engagements les plus élémentaires ? », s’offusque un homme d’affaire américain impliqué dans un important projet combinant mines et infrastructures.

Centre Financier, Hôtel Marriot, Arèna, 1000 maison, etc…Le paradoxe est cruel : ceux qui bâtissent sont attaqués, ceux qui sabotent prospèrent. Doudou Fwamba, en bloquant ces projets pour des raisons politiciennes, a fait perdre des millions à l’État. Pourtant, il continue de trôner comme si la médiocrité et le calcul politicien étaient devenus des vertus d’État.
Et que dire du silence assourdissant du Procureur général près la Cour de cassation, Firmin Mvondé ? Lui qui se montrait si prompt à dégainer des réquisitoires spectaculaires contre l’ancien ministre des Finances, semble aujourd’hui frappé d’une étrange amnésie sélective face de tels sabotages de la République. 

Exonérations – Arena : quand la loi s’efface devant la mauvaise foi politique

Sur le dossier Arena, Doudou Fwamba a brandi l’argument de l’illégalité comme une arme politique. Il accuse à grands renforts de médias et de pseudo influenceurs, mais oublie l’essentiel : la loi congolaise est limpide. Les exonérations peuvent être accordées pour tout grand projet public, qu’il s’agisse du Code des investissements, de financements extérieurs ou d’une décision motivée du gouvernement.

Le Centre Financier de Kinshasa avait d’ailleurs bénéficié du code des investissements sans la moindre polémique. Ce qui était légal et légitime hier est soudain présenté comme un scandale aujourd’hui, simplement parce que la politique a pris le pas sur le droit. En vérité, la loi n’a pas changé. Ce qui a changé, c’est la volonté politique de l’appliquer honnêtement et efficacement.

En réalité, le chantier de l’Arena démarre en septembre 2023, après l’annulation d’un contrat signé avec l’entreprise Summa surfacturé à 50 millions USD. Mais l’arrivée de la nouvelle équipe aux Finances paralyse le projet : plus de 1 300 conteneurs sont bloqués au port, entraînant des surcoûts logistiques colossaux, à la charge de l’État, et mettant le prestataire Milvest en difficulté.

L’argument évoqué par Doudou Fwamba quant à la garantie de bonne exécution ne tient pas la route. Cette dernière est un simple engagement généralement émis par une banque, qui protège le donneur d’ordre en cas de défaillance de l’entrepreneur à respecter les termes d’un contrat, assurant ainsi que les travaux ou services seront réalisés conformément aux attentes. En effet, il faut savoir que Milvest avait déjà donné sa garantie corporate (engagement pris par une société mère ou une entité au sein d’un groupe d’entreprises pour garantir les obligations financières d’une filiale) pour 130 millions de dollars de financement extérieur obtenu par le gouvernement pour le même projet. Aussi il faut savoir qu’au moment où Nicolas Kazadi quitte le gouvernement à la mi-20224, Milvest avait préfinancé les travaux de Kinshasa Aréna pour 65 millions de dollars. Bloquer les travaux pour lui exiger une garantie de bonne exécution est un non-sens. Mais malgré ça, Fwamba lui a exigé une garantie de bonne fin selon les canaux classiques qu’il connaît et Milvest la lui a fournie. Il faut insister sur le leadership et l’approche éthique et pragmatique qui ont toujours caractérisé la gouvernance de M. Kazadi, prouvée autant dans la lutte contre les surfacturations (Arena et Forage) que dans le dispositif mis en place dans le dossier lampadaires. Le financement pour lequel Milvest avait donné sa garantie corporate a été obtenu auprès de la firme Frontera auquel participait également la Trade Merchant Bank (TDB). Ironie tragique : après des mois de blocage et de campagnes de calomnies, aucune modification significative n’a été apportée au contrat. Les exonérations ont été maintenues… mais le pays a perdu plus de 2 millions USD uniquement à cause des lenteurs administratives et des querelles politiques internes.

Au final, l’État s’est tiré une balle dans le pied : les travaux sont au ralenti, les coûts explosent, et la crédibilité s’effrite.

Quand accuser son prédécesseur revient à viser le Chef de l’Etat

Les faits démontrent qu’il n’y a eu aucune illégalité ni dans le projet Marriott ni dans les exonérations de l’Arena. Les accusations de Doudou Fwamba relèvent davantage de la manipulation politique que d’une analyse objective des dossiers.

Au-delà de la polémique, ce climat d’instrumentalisation politique a coûté cher à l’État congolais :

  • Affaiblissement de la parole du Chef de l’Etat vis-à-vis de certains investisseurs et de ses homologues (cas de la Turquie)
  • retards et surcoûts dans les chantiers,
  • image brouillée de la RDC comme destination d’affaires fiable.

Tout bien considéré, les déclarations récentes de Doudou Fwamba apparaissent en totale contradiction avec ses propres propos, ainsi qu’avec ceux de Jules Alingete, tenus le 15 décembre 2024 lors de leur visite du chantier de l’Arena de Kinshasa. Ce jour-là, le ministre des Finances avait solennellement annoncé la reprise des travaux, après plusieurs mois d’arrêt provoqués par une décision de l’IGF qui avait bloqué 1300 conteneurs de matériel destiné au chantier au port de Matadi. Aux côtés du ministre de l’Aménagement du territoire, Guy Loando, de l’Inspecteur général des finances Jules Alingete et des représentants de Milvest, il avait affirmé que le gouvernement avait pris toutes les dispositions nécessaires pour relancer le projet et assurer l’inauguration de l’Arena en septembre 2025.

« Nous pouvons confirmer que les travaux ont déjà repris sur le site, comme vous pouvez le constater. Les conteneurs à acheminer depuis le port de Matadi sont en cours d’acheminement : plus de 150 sont déjà arrivés ici. Les travaux ont repris depuis une semaine. Le gouvernement tient à ce que ce projet soit mené à terme, car il s’agit d’un engagement de Son Excellence, le Président de la République, Félix Tshisekedi, qui veut offrir à notre jeunesse et à notre population des infrastructures capables d’accueillir de grandes compétitions », avait déclaré Doudou Fwamba.

De son côté, Jules Alingete insistait sur la nécessité de rétablir l’ordre dans la gestion du projet afin de garantir son aboutissement. « Comme vous le savez, le projet posait un problème de procédure et de maîtrise des coûts. Un rapport a été transmis à Son Excellence Monsieur le Ministre des Finances. Après concertation avec Milvest, les choses ont été clarifiées. Il est maintenant important que ce chantier n’en reste pas un, mais qu’il avance jusqu’à son achèvement », expliquait-il. ‘‘Maîtrise des coûts’’ ? Le projet n’a pourtant jamais dépassé son montant de départ, à savoir 104 millions USD. Dans tous les cas, dix mois plus tard, force est de constater que rien n’a été fait, le chantier demeure au ralenti, et Doudou Fwamba avance désormais de nouveaux prétextes à travers de fausses accusations.

Logique de structuration

En réalité, les projets engagés sous Nicolas Kazadi répondaient à une logique de structuration des finances publiques et d’attractivité économique. Les blocages intervenus par la suite illustrent surtout un déficit de leadership et une instrumentalisation des institutions à des fins bassement politiciennes.

À vouloir nuire à son prédécesseur, le ministre Fwamba a pris le risque de fragiliser davantage l’État congolais. Car, au-delà des querelles internes, c’est bien la réputation et la crédibilité de la RDC qui se trouvent en jeu.

Fwamba met en cause le Chef de l’Etat lui-même

En choisissant de critiquer publiquement des décisions gouvernementales pourtant signées par une autorité sectorielle compétente et validées en Conseil des ministres, Doudou Fwamba dépasse le simple désaccord technique : il met directement en cause la responsabilité du chef de l’État lui-même. Car toute mesure adoptée en Conseil des ministres engage l’autorité du Président de la République, garant de la cohérence de l’action gouvernementale. En insinuant que ces décisions seraient empreintes de légèreté, voire d’incompétence, le ministre des Finances adresse en réalité ses accusations au premier magistrat du pays, fragilisant ainsi l’image et la crédibilité de l’Exécutif dans son ensemble.

En outre, sur un autre registre, en niant que le gouvernement congolais ait déboursé 44 millions d’euros au club espagnol du FC Barcelone, alors que ce paiement avait été confirmé aussi bien par le ministre des Sports, Didier Budimbu, que par le club catalan lui-même, Doudou Fwamba a exposé aux yeux de l’opinion un sérieux déficit de crédibilité. Faut-il d’ailleurs rappeler que ces montants exorbitants ont été payés en procédure d’urgence, sans provision budgétaire et en dehors de toute règle. Plus encore, au lieu de clarifier les choses en indiquant le montant qu’il considère comme véritable, il s’est contenté d’esquiver la question, invitant le journaliste à venir dans son bureau pour en prendre connaissance. Une attitude qui renforce l’impression de légèreté et de confusion tout en jetant davantage le doute sur la fiabilité de sa communication publique.

En conclusion, l’affaire Marriott-Arena n’est pas celle d’une « mauvaise gestion passée » mais celle d’une réécriture politique des faits, destinée à masquer l’absence de vision, l’absence de leadership et l’incompréhension des mécanismes modernes de financement. En fragilisant la continuité de l’action publique, le ministre des Finances installe la méfiance là où la RDC avait besoin de stabilité et de clarté.

À force de transformer chaque dossier en champ de bataille politique, le gouvernement finit par travailler contre lui-même tout en donnant une piètre image au régime.

Rhodes MASAMBA, journaliste indépendant