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 « Ce que la Banque centrale appelle réussite est en réalité une perte du pouvoir d’achat des Congolais », selon Rudolf Bondo Mecky

Rudolf Bondo Mecky, économiste et ancien Senior Superintendent chez Kamoto Copper Company S.A., est aujourd’hui deuxième Secrétaire exécutif adjoint du Gouvernement du Lualaba. Dans une interview exclusive accordée à Alain Saint-Pierre Mwamba sur la chaîne YouTube Axe Média, il livre une lecture critique des récentes mesures de la Banque centrale du Congo (BCC) ayant conduit à l’appréciation du franc congolais.

Une politique monétaire à double tranchant

À travers le monde, les gouvernements soutiennent les entreprises en difficulté, conscientes qu’elles constituent des moteurs de croissance et des sources d’emplois. En RDC, le phénomène inverse semble s’observer : en quelques semaines, des manipulations du taux de change ont fait fondre environ 30 % de l’épargne des entreprises, amputant leurs marges, freinant la consommation et aggravant la précarité des ménages.

Selon Rudolf Bondo Mecky, ces mesures de la Banque centrale, présentées comme une victoire, sont en réalité une « gymnastique financière » dont les effets néfastes n’ont pas encore été pleinement évalués sur la croissance et l’économie réelle.

« Le franc congolais n’a pas été créé pour acheter des dollars »

Pour l’économiste, l’appréciation du franc congolais est trompeuse :« Le franc congolais n’a pas été créé pour acheter des dollars, mais pour payer des biens et services. Aujourd’hui, avec les francs, on peut acheter beaucoup de dollars, mais peut-on acheter beaucoup de bitoyo, de fufu, de riz ? Alors, en quoi le franc est-il fort ? »

En d’autres termes, la valeur du franc ne doit pas se mesurer à sa capacité de s’échanger contre le dollar, mais à son pouvoir d’achat réel dans la vie quotidienne des Congolais.

Une manipulation coûteuse pour la population

Rudolf Bondo Mecky explique le mécanisme employé par la BCC : « Le gouvernement, enfin la Banque centrale, a pris 50 millions de dollars qu’il a injectés sur le marché bancaire pour racheter les francs congolais. Lorsqu’elle prend 100 dollars, elle donne à l’économie 285 000 francs. Deux semaines après, pour récupérer ces 100 dollars, elle redonne 190 000 francs. Elle vient donc de réaliser une plus-value. Cette plus-value-là, c’est le pouvoir d’achat de la population. »

Selon lui, la Banque centrale capte artificiellement une richesse qui aurait dû rester dans les poches des citoyens et des entreprises :

« Cette opération, c’est un vol économique. Ce que les gens vivent aujourd’hui — la difficulté à se nourrir, à se loger — ce sont les conséquences directes de cette politique. »

Une illusion de réussite politique

Pour Mecky, la BCC poursuit un objectif politique plutôt qu’économique : « Le gouverneur de la Banque peut applaudir, politiquement c’est une victoire. Le taux a baissé, bravo ! Mais économiquement, rien n’a changé. Les prix ne baissent pas, donc où est la force du franc congolais ? »

L’économiste rappelle que la monnaie devient forte par la production, non par des injections artificielles de devises : « La monnaie devient forte lorsque la production augmente. Et cela ne peut se faire ni en deux ans, ni même en cinq. Il faut au minimum dix à quinze ans d’un travail soutenu sur la base d’un tissu économique solide. »

L’économie congolaise : un géant au PIB gonflé mais sans fondation nationale

Le spécialiste du secteur minier distingue le Produit Intérieur Brut (PIB) du Produit Intérieur Net (PIN) pour mieux décrire la faiblesse de l’économie congolaise.

« Le PIB congolais paraît énorme, mais quand on retranche les entreprises étrangères, il reste très peu de choses appartenant réellement aux Congolais. KCC, Mumi, Tenke, toutes ces sociétés gonflent nos chiffres, mais ce n’est pas de la richesse nationale », déclare-t-il à nos confrères d’Axe Média.

Cette dépendance structurelle, souligne-t-il, empêche le pays de bâtir une véritable base productive capable de soutenir durablement la monnaie locale.

Les quatre piliers oubliés de la politique économique

S’appuyant sur les théories macroéconomiques classiques, Rudolf Bondo Mecky rappelle que toute économie équilibrée repose sur quatre objectifs fondamentaux, dont la croissance du PIB (production) ; la stabilité des prix (inflation) ; l’équilibre de la balance commerciale ; et le niveau d’emploi.

Or, selon lui, la RDC ne poursuit qu’un seul de ces objectifs pris de manière isolée — le taux de change — au détriment des trois autres, ce qui crée un déséquilibre dangereux.

« Vous ne pouvez pas stabiliser une monnaie sans penser à la production, à l’emploi et à la balance commerciale. Une politique économique, c’est une harmonie de l’ensemble », a-t-il soutenu.

« Quand l’économie échoue, la politique échoue »

L’économiste conclut sur une mise en garde claire : « L’économique et le politique sont indissociables. Une politique qui échoue sur le plan économique est une politique qui échoue tout court. Stabiliser le taux de change ne suffit pas : ce qui compte, c’est la stabilité du panier de la ménagère. »

Cette interview révèle la profondeur du malaise économique congolais : derrière le franc fort voulu fort par des manipulations du taux de change, se cache un peuple affaibli. Les mesures monétaires récentes ont peut-être offert un répit politique, mais elles risquent, à terme, d’asphyxier la production nationale et d’éroder encore davantage le pouvoir d’achat des Congolais.

Mbuta MAKIESSE