Positionner la RDC comme une source-clé de métaux dans la transition vers l’énergie verte, c’est l’engagement que Félix Tshisekedi a réaffirmé lors de la conférence Investing in African Mining Indaba à Cape Town, en Afrique du Sud, en février dernier. D’après des sources du pool économique du cabinet du chef de l’Etat, le président congolais va lancer très bientôt de nouvelles explorations pour le nickel, dans le Kasaï central. Objectif : passer le plus rapidement possible à la phase d’exploitation de ce produit, complémentaire du lithium dans la fabrication des batteries électriques.
C’est la guerre du futur qui pose déjà ses jalons. L’Indonésie, archipel d’Asie du Sud-Est dans l’océan Pacifique, vise à devenir la plaque tournante mondiale pour les batteries de véhicules électriques et les véhicules électriques eux-mêmes. Le président Joko Widodo pense que jusqu’à 60 % des véhicules électriques dans le monde dépendront bientôt des apports de l’écosystème de batteries indonésien. Et pour cause : l’Indonésie est riche en nickel, un autre ingrédient clé des batteries de véhicules électriques. Le pays représente 37 % de la production mondiale de nickel et 22 % des réserves internationales. Notons qu’en moyenne, une batterie électrique comprend 50% de nickel, 45% de lithium, et 5% de cobalt.
La RDC possède tous les trois éléments
Cependant, l’Indonésie manque de lithium. Or, l’Australie en possède en quantité. C’est même actuellement la première productrice du monde, avec 55.000 tonnes par an. Alors, pour combler sa carence en nickel, l’Indonésie en importe chez son partenaire de l’océan Pacifique, à peine distant de 2.000 Kms. Le potentiel est pris au sérieux par de nombreux investisseurs japonais, chinois ou encore sud-coréens qui se bousculent au portillon : Hyundai Motor Group et LG Energy Solution, par exemple, y ont investi 1,1 milliard de dollars dans la construction d’une usine de batteries électriques sur l’île de Java.
Or, la RDC, elle, dispose de tous les trois éléments nécessaires à la fabrication des batteries électriques. Au cobalt archiconnu dont elle demeure l’éternelle championne du monde, il faut ajouter le lithium des provinces du Tanganyika et Haut Lomami, dont elle détient les plus grandes réserves mondiales – soit 44,6 millions de tonnes de réserves prouvées et 48,5 millions de tonnes de réserves probables – ainsi que le nickel des alentours de Kananga au Kasaï central, de bonne teneur (3,8%, alors que le seuil d’exploitabilité est de 1,3%), et dont les réserves seraient estimées à 16 milliards de dollars américains selon Thierry Mulumba, DG de Synergy Consulting et ancien ministre provincial de Mines, Electricité et Hydrocarbures du Kasai central.
«L’objectif est de découvrir de nouveaux gisements qui pourront faire l’objet d’appels d’offres, en vue de conclure des partenariats public-privé mutuellement profitables», a déclaré le président Tshisekedi à Cape Town. Mais il restera le sempiternel problème du courant électrique dans cette province du centre du pays. En effet, le taux d’électrification y est très bas – 0.5% selon l’ANAPI – autant dire que la province est un vrai trou noir.
Problème à résoudre
Déjà, en 2007, lors de la conclusion des fameux contrats chinois entre le gouvernement congolais de l’ère Joseph Kabila et un consortium des entreprises chinoises, les Chinois étaient initialement intéressés par le nickel et le chrome du Kasaï central. ‘‘En 2007, quand nous avons commencé les discussions avec la Chine, nous pensions leur vendre du chrome et du nickel. Les Chinois étaient intéressés. Ils sont allés dans le Kasaï, où se trouvent ces matières premières. Ils ont fait des prélèvements qui étaient très positifs. Mais il n’y avait pas d’électricité du tout au Kasaï, le projet n’est pas allé plus loin et nous nous sommes tournés vers le cuivre et le cobalt. Ce qui signifie que lorsque nous aurons de l’électricité, il y a là un vrai potentiel’’, indiquait, en 2020, le sénateur et ancien coordonnateur du Bureau de coordination et de suivi du programme sino-congolais (BCPSC), Moïse Ekanga, chez nos confrères de la Libre Belgique.
De quoi susciter le courroux des centre-Kasaïens. Notable de la province et coordonnateur de l’«Association Kazolo dilumbuluile – Emergence de l’espace Kasaï occidental», Dieudonné Dikita Makubakuba ne décolère pas : «Voilà comment un leadership irresponsable dirigeait ce pays ! La politique est l’art de rendre possible ce qui est nécessaire, comme disait Philippe Séguin. Au lieu de trouver la solution au problème de fourniture de courant dans le Kasaï, ils préfèrent la facilité en allant chercher le cuivre et le cobalt au Katanga, abandonnant le Kasaï occidental à son triste sort», déclare-t-il. Avant d’ajouter : «Pourtant, les solutions rapides existent. On pouvait d’abord soutirer 210 MGW de la ligne Inga-Shaba au point prévu pour cela à Tshimbulu, en territoire de Dibaya, et ensuite construire carrément la centrale hydroélectrique de Katende. Ce n’est pas impossibe si on a la volonté : il a fallu seulement 4 ans au président Alassane Ouattara pour construire le barrage de Soubré en Côte d’ivoire, qui, avec ses 275 MGW, est plus de 4 fois plus puissante que le projet Katende».
L’électricité. Voilà justement le premier problème que le président Félix Tshisekedi devra résoudre s’il veut matérialiser son ambition de faire de la RDC la plaque tournante mondiale de la production des batteries électriques, et lancer par là même, le développement de l’espace Kasaï. Ensuite, il se posera le problème d’évacuation de la production vers les pays importateurs. “Là, il faudra coûte que coûte désenclaver la province du Kasaï central en la reliant au port de Lobito en Angola”, déclare Albert Mukengele, enseignant à Kananga. En effet, il s’agirait de réaliser finalement le projet de construction de la route qui va de Kananga à Kalamba-Mbuj, à la frontière angolaise. La distance entre Kananga et le port de Lobito ne serait alors que de 1.700 Kms, de loin moins que celle qui relie Lubumbashi au port sud-africain de Durban.
Voilà, en fait, les deux contraintes à solutionner si la RDC aspire vraiment à surclasser l’Indonésie de Widodo, décidément plus ambitieuse que jamais.
Rica MITSH







