Seul candidat au poste, après l’avoir emporté face à Christophe Mboso Nkodia Mpwanga et Modeste Bahati Lukwebo lors d’une primaire interne aux députés de l’Union sacrée, Vital Kamerhe lwa Kanyinginyi Nkingi a été élu tard dans la soirée d’hier président du bureau définitif de l’Assemblée nationale. Le président de l’UNC sera secondé par le professeur Jean Claude Tshilumbayi de l’UDPS comme premier vice-président, et le président du bureau d’âge Christophe Mboso comme deuxième vice-président. Jacques Djoli du regroupement AB de Sama Lukonde a été désigné rapporteur, et l’opposante du parti Ensemble pour la République Dominique Munongo rapporteure adjointe. La questure sera occupée par Chimène Polipoli de l’AFDC comme titulaire, et Grâce Neema Paininye du regroupement AAAP comme adjointe.
Même si, donc, il n’y avait nul suspense là-dessus, l’élection de Vital kamerhe à la présidence du bureau de la chambre basse du Parlement revêt une nouvelle dimension. En effet, trois jours avant, soit le dimanche 19 mai, l’homme a failli être assassiné par un commando dont on n’a pas encore établi avec certitude les réelles intentions après son attaque à la résidence de M. Kamerhe. N’eut-été l’héroïque bravoure de la garde du désormais président de l’Assemblée nationale, le lion de Walungu serait, à l’heure qu’il est, passé de vie à trépas.
L’histoire de Vital Kamerhe s’écrit comme un roman à multiples rebondissements. S’il a défendu et obtenu son doctorat d’Etat à l’Université américaine d’Athènes, l’homme semble lié à la Grèce par bien plus encore : sa vie ressemble à celle du Phénix, oiseau mythique de la Grèce ancienne, doté d’une grande longévité et caractérisé par son pouvoir de renaître soit de son propre cadavre, soit des flammes de son bûcher. Il symbolise ainsi un cycle de mort et de résurrection.
Lettres de noblesse de la vie parlementaire
Jeune militant de l’UDPS pendant la clandestinité alors qu’il était étudiant en sciences économiques à l’Université de Kinshasa, Vital Kamerhe voit sa carrière politique prendre une autre dimension lorsqu’il devient directeur de cabinet de Mushobekwa Kalimba wa Katana, alors ministre de l’Enseignement supérieur du gouvernement Kengo. Mais c’est à l’arrivée du président Laurent-Désiré Kabila qu’il va prendre du galon : en 1999, il est nommé commissaire général adjoint en charge de la MONUSCO, étant, avec Vangu Mambweni, l’un des adjoints du professeur Ntwaremba.
Avec l’avènement de Joseph Kabila au pouvoir en janvier 2001 après l’assassinat de son père Laurent-Désiré, le nouveau président lui promet le ministère des Affaires étrangères. Avant de reculer suite aux pressions de ses proches. Kamerhe devra se contenter du poste de commissaire général en charge du Dialogue intercongolais. Et à l’issue de ce forum, Joseph Kabila lui promet le poste de vice-président de la République réservé à la composante ex-gouvernement. Mais il doit encore battre en retraite, et confier le poste au vieux patriarche Abdoulaye Yerodia Ndombasi. Vital Kamerhe ira se morfondre à l’étroit au ministère de la Communication et médias.
Poste gouvernemental qu’il quitte une année plus tard pour prendre la direction du PPRD.
De guerre lasse, par vaux et par monts, sous la pluie ou la chaleur torride, s’exprimant dans toutes les langues nationales, Kamerhe implante le tout nouveau parti de Joseph Kabila dans les coins et recoins du pays. Avant de le conduire à la victoire aux élections générales de 2006. Heureux, Kabila lui promet cette fois-ci de façon ferme, la primature. Mais il donnera, finalement, le poste à un autre patriarche, du Palu celui-là : Antoine Gizenga Fundji, fort de ses 12% au premier tout à la présidentielle, et dont le soutien est décisif pour le second tour. Contre mauvaise fortune, bon cœur, Vital Kamerhe ira nicher au perchoir de l’Assemblée nationale. Où il va donner à la vie parlementaire ses lettres de noblesse, par la liberté d’expression et de ton qu’on y vit, la qualité du contrôle parlementaire, le droit de l’opposition etc. Kamerhe se construit une nouvelle stature : c’est désormais un homme d’Etat respecté à l’international, et un homme populaire dans son pays.
Machination politique
Mais Kamerhe n’est pas de nature à accepter tout et n’importe quoi, même s’il jouit des délices du pouvoir et vit sous les ors de la République. Début 2007, il a le courage de dénoncer, dans une interview à Jeune Afrique, ce qu’il qualifie de «clan katangais» qui, selon lui, prend le chef de l’Etat en otage. Kabila accuse le coup. Mais à partir de ce moment, plus rien ne va entre VK et le sérail présidentiel. Comme si cela ne suffisait pas, en janvier 2009, il dénonce l’entrée des troupes rwandaises sur le territoire congolais sans que le Parlement n’en soit informé. Piqué au vif, Kabila le contraint à la démission. Ce qu’il fait, mais en choisissant les modalités de son départ : il partira en démissionnant lui-même quand la prochaine session parlementaire aura été ouverte.
Malgré tout, la plupart des observateurs ne jurent que par sa mort politique. Nul ne le voit rebondir. Mais Kamerhe, c’est Papa Wemba chassé de Yoka Lokolé, orchestre dont il était le pilier. Si le chef coutumier du village Molokaï crée son propre orchestre, le Viva la Musica, Kamerhe fonde son propre parti, l’UNC. Le voilà parti vers de nouvelles aventures, vers un nouveau destin. Troisième à la présidentielle de 2011, juste derrière Joseph Kabila et le patriarche Etienne Tshisekedi, il incarne désormais l’avenir. Mais, bon prince, dans un pays où l’élection présidentielle se fait désormais à un tour, il se retire au bénéfice du fils d’Etienne Tshisekedi, Félix, qui en retour, lui promet la primature, et son soutien à la présidentielle cinq ans plus tard.
Félix Tshisekedi est élu, mais la primature ira au FCC de Kabila dans le cadre d’une alliance aux contours mal définis avec les tenants de l’ancien pouvoir. Habitué de déceptions, le président de l’UNC est nommé directeur de cabinet de son allié à la présidence de la République. Mais une année plus tard, en avril 2020, c’est le coup de tonnerre : il est mis aux arrêts, jugé et condamné le 20 juin à vingt ans des travaux forcés pour détournements des deniers publics. C’est le tollé au pays et dans le monde. Ses partisans crient à la machination politique. Là-dessus, tout le monde crie à l’unisson à sa mort politique définitive. Mais l’homme est de ceux qui savent faire battre le sang de la vie.
Courageux et téméraire
Il interjette appel, et sa peine est réduite à 13 ans en juin 2021. Nouvel appel : la Cour de cassation annule la condamnation de Vital Kamerhe en avril 2022, et à sa suite, la Cour d’appel de Kinshasa/Gombe l’acquitte complètement deux mois plus tard. Blanchi définitivement par la justice, l’homme ne rumine nulle vengeance, et se montre conciliant, et plus préoccupé à semer la paix dans le pays. Le 23 mars 2023, il entre au gouvernement en qualité de vice-Premier ministre et ministre de l’Economie. Décidément, le Phénix ne meurt jamais !
Alors que tout le monde s’attendait à son élection comme président du bureau définitif de l’Assemblée nationale, le dimanche 19 mai dernier, le commando de Christian Malanga débarque nuitamment chez lui et fait feu de tout bois, tuant deux de ses gardes. Cette fois-ci, on croit que c’en est fini de lui physiquement. Mais il a survécu, en bon Phénix.
C’est ce survivant qui vient d’être porté à la tête de la deuxième institution du pays, devenant du coup le deuxième personnage politique de la RDC. Vital Kamerhe est ressortissant de l’ethnie Bashi, la première, numériquement parlant, du Sud-Kivu. Les Bashi, étymologiquement « gens de la terre », tiennent plus que tout à leurs terres. S’il a fait le tour du Congo, profitant des différentes mutations de son père pour apprendre les quatre langues nationales, c’est dans la socialisation Bashi que le jeune Vital a forgé son caractère.
Ici, les larmes sont rares et la bravoure une vertu. Les Bashi sont courageux, parfois téméraires, sans nul souci du danger. Mais ils sont d’une incroyable susceptibilité devant le mépris et l’insulte. Tout au long de l’histoire, ils ont toujours su défendre leurs terres contre les attaques des rois du Rwanda voisin qui, de Yuhi II à Lwabugiri, en passant par Gahindiro, n’ont eu de cesse de convoiter leurs vastes pâturages. Malgré les nombreuses dissensions intérieures qui minaient la vie politique des descendants de Namuhoye, la reine fondatrice du royaume Bushi, les Rwandais, pourtant brillants soldats, ne purent jamais se les soumettre. Qu’ils soient de Kabare ou de Ngweshe, les intrépides guerriers Bashi, glaives enrubannés de peaux de loutres en mains, ont toujours réussi à bouter l’ennemi hors de leur territoire. Leur mémoire a laissé un sentiment de fierté et de nationalisme toujours vivace jusqu’aujourd’hui.
Des questions se posent
C’est cela l’esprit du terroir qui caractérise la personnalité de Vital Kamerhe. Comme porté par Lyangombe, l’esprit supérieur Shi, l’homme est capable de compromis, mais pas de compromissions. Des questions se posent dès lors : jusqu’où est-il capable d’aller, vu que son allié de Nairobi est à son deuxième et dernier mandat constitutionnel ? Cet homme qui aime dire qu’il n’est pas obsédé par des postes, sera-t-il prêt à se renier pour rester sous les lambris dorés de la République ?
En rentrant chez lui tard dans la nuit silencieuse de Kinshasa juste déchirée par les bruits des sirènes du véhicule d’escorte de sa nouvelle garde, assis sur la banquète arrière et plongé dans ses pensées, ce chrétien pratiquant qui s’affiche en permanence avec son crucifix autour du cou, écoute tranquillement la chanson ‘‘Jusqu’au bout’’ de Gaël Music que diffuse la radio de sa voiture :
«Quand je ne verrais même pas un signe
«De mes espérances
«L’Esprit de vie me rendra digne
«D’aller jusqu’au bout…
«J’irais jusqu’au bout de mon parcours
«Tout le long de ce parcours, il n’y a pas que la joie
«Parfois les hommes et ce qu’ils sont
«Sont les ennemis de ma foi
«J’irais contre vents et marais
«A la croisée du chemin
«J’irais jusqu’au bout… »
Pour le moment, nul ne sait ce que lui a inspiré cette douce mélodie, ni à quoi il a pensé. Mais ceci est une autre histoire.
Belhar MBUYI