Depuis quelques jours, l’Union pour la démocratie et le progrès social, le parti du chef de l’Etat, s’est lancé à corps perdu, dans une initiative visant la révision de la constitution de la RDC. En première ligne, Augustin Kabuya Tshilumba, le secrétaire général du parti. «En 2006 nous, l’UDPS, n’étions pas d’accord avec cette constitution. On avait même fait une promesse à notre peuple, qu’une fois arrivé au pouvoir, nous reviendrons sur la constitution. La population nous a fait confiance, elle nous a amenés au pouvoir, qu’est-ce que nous allons faire ? Nous allons aussi respecter notre parole !», a-t-il déclaré au cours d’une matinée politique devant le siège de l’UDPS, à Limete 10ème rue.
M. Kabuya a même fait part de sa volonté de lancer une campagne d’explication à travers les provinces pour porter son évangile révisionniste de la loi fondamentale auprès du peuple congolais. Selon des sources dignes de foi, l’initiative vise à faire passer le mandat du président de la République de 5 à 7 ans une fois renouvelable, et à faire élire le chef de l’Etat par le Parlement. Sauf que cette prise de position gène lourdement les partenaires de l’UDPS au sein de l’Union sacrée aux entournures. Beaucoup pensent qu’une initiative d’une si haute portée politique devrait d’abord être traitée au sein de la famille politique, avant d’être portée devant l’opinion. Mais l’initiative fait grincer les dents dans les principaux partis de l’Union sacrée. Surtout à l’UNC et au MLC, dont les leaders, Vital Kamerhe et Jean Pierre Bemba, ont l’ambition présidentielle comme vocation, mais aussi chez tous les leaders d’une certaine importance : Mbusa Nyamwisi, Pius Mwabilu, Julien Paluku.
Laisser passer cette révision de la constitution signifiera que les mandats de Félix Tshisekedi, s’il continue à bénéficier du soutien du peuple lors d’élections à venir, iront jusqu’en 2042, après ses deux mandats de 5 ans chacun, et les deux autres de 7 ans chacun. En 2042, Jean Pierre Bemba aura, si Dieu lui prête vie, 80 ans, et Vital Kamerhe 83 ans. Autant dire que les deux seront deux politiciens à la retraite qui auront vu grillées leurs ambitions présidentielles. Mais les deux hommes ont un sérieux dilemme : face à l’UDPS qui veut les ravaler au niveau de simples soldats de rang qui ne peuvent ambitionner le pouvoir suprême, que faire ? Se soumettre et garder leurs positions de pouvoir actuelles – président de l’Assemblée nationale pour Vital Kamerhe, et vice-Premier ministre et ministre des Transports pour Jean Pierre Bemba – ou refuser le projet de révision de la constitution et quitter les lambris dorés du pouvoir et aller grossir les rangs de l’opposition ?
Simples et banals troupiers
Sans oublier que cette question en appelle une autre : comment quitter sa position de pouvoir actuelle en sachant qu’on a perdu de sa crédibilité au sein de l’opinion – Vital Kamerhe à cause du procès dit des 100 jours, et Jean Pierre Bemba à cause d’une attitude par trop servile vis-à-vis de Félix Tshisekedi dont il s’est fait carrément un garçon de course pendant la campagne électorale, où il s’est réduit lui-même au rôle de fou du roi ? Comment exister dans une Union sacrée où le seul mort d’ordre est la soumission au seul général en chef, Félix Tshiskedi, tous les autres étant relégués au rang de simples et banals troupiers ? C’est un véritable casse-tête pour les deux leaders.
C’est là qu’on rappelle le courage dont avaient fait preuve Moïse Katumbi, alors gouverneur du Katanga, la province de loin la plus riche du pays, élu sur liste PPRD, le parti du président Kabila, qui avait eu la vaillance de dénoncer, le 23 décembre 2014, devant une foule immense à Lubumbashi, ce qu’il avait ironiquement appelé ‘‘troisième pénalty’’, c’est-à-dire un troisième mandat du président Kabila. Dans cet élan, sept membres de la majorité présidentielle (MP) de l’époque – Olivier Kamitatu de l’ARC, Charles Mwando Nsimba de l’UNADEF, Gabriel Kyungu wa Kumwanza de l’UNAFEC, Christophe Lutundula de l’ADP, Banza Maloba de l’ACO, José Endundo du PDC, et Pierre Lumbi du MSR –, écrivent une lettre téméraire au chef de l’Etat.
Dans leur lettre, ils demandant au président Joseph Kabila de respecter la Constitution en quittant le pouvoir en 2016. Selon les frondeurs, l’évolution politique de dernières semaines a «conduit l’écrasante majorité des Congolais à la conviction qu’il y a des intentions inavouées de ne pas respecter la Constitution». «La stratégie actuelle nous paraît suicidaire», tranchent-ils.
Choix cornélien
«Quant à la tenue des prochaines élections tant attendues par le Peuple congolais, chaque jour qui passe apporte plus de confusion que de clarté», ajoute la lettre. Qui ajoute : «Afin d’épargner” à la RDC “une crise politique inutile […] aux conséquences imprévisibles», il importe de prendre «des initiatives courageuses», dont celle d’organiser en priorité les élections présidentielle et législatives, et de repousser les locales à plus tard.
Piqué au vif, Kabila réagit avec brutalité : Olivier Kamitatu (ARC) est débarqué du ministère du Plan et Pierre Lumbi (MSR) viré de son poste de Conseiller spécial du chef de l’Etat en matière de sécurité. Par effet domino, des courageuses démissions s’enchaînent : Charles Mwando, premier vice-président de l’Assemblée nationale ; Modeste Mutinga, rapporteur du Sénat ; Jean Pierre Sama Lukonde, ministre des Sports ; Jean Claude Kibala Nkolde, ministre de la Fonction publique ; Dieudonné Bolengetenge, ministre des Affaires foncières, rendent tous leurs tabliers. C’est la première fois que les Congolais assistent à une série de démissions aussi massives.
Tous les démissionnaires se regroupèrent au sein du groupe des sept partis, G7 en sigle, plateforme de soutien à Moïse Katumbi. Cette initiative, en fragilisant la majorité en son propre sein, avait beaucoup contribué à faire capoter l’initiative de révision de la constitution, alors portée par des gens comme Evariste Boshab – auteur, à l’époque, d’un livre ridicule intitulé ‘‘Entre la révision de la constitution et l’inanition de la nation’’ –, afin d’octroyer un troisième mandat au président Joseph Kabila.
Aujourd’hui, le Congo se retrouve dans la même situation. Jusque-là, l’UDPS mène sa campagne en solo. Mais de Bemba et Kamerhe, qui aura le courage de résister comme l’avaient fait Moïse Katumbi et les siens en 2015 ? Le choix est cornélien : si s’opposer à l’UDPS et partir de l’Union sacrée leur ferait perdre leurs postes de responsabilité d’Etat actuels, rester les réduirait définitivement au rang de simples troufions d’une armée dont le commandant peut disposer d’eux selon son bon vouloir après les avoir vidés de toute leur substance politique. Déjà dans leurs propres partis politiques, des lieutenants se sont émancipés – Eve Bazaiba au MLC, Aimé Boji à l’UNC – et sont prêts à leur tenir tête en cas de moindre rébellion contre l’Union sacrée.
Belhar MBUYI