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A la tribune de l’Assemblée nationale, Godé Mpoy étale son ignorance. Ahuri, Kamerhe lui porte la correction

Godé Mpoy Kadima, le député-pasteur bling-bling de Kinshasa/Funa, a trouvé dans le débat sur la reddition des comptes ce mercredi 16 octobre 2024 à l’Assemblée nationale une occasion propice pour s’offrir en spectacle. Etant donné que les séances plénières de la chambre basse du Parlement sont retransmises en direct à la télévision, l’homme a donc voulu faire d’une pierre trois coups : impressionner à la fois ses collègues, ses électeurs de Kinshasa/Funa et tous les Congolais qui étaient branchés devant la chaîne de l’Assemblée nationale. Mal en lui prit : il a plutôt fait étalage d’un niveau d’ignorance indigne du professeur d’économie qu’il est. Ahuri, Vital Kamerhe lui a porté la correction comme à un enfant ignorant qui s’entête dans ses erreurs.

Intervenant à la tribune de la chambre basse, Godé Mpoy s’est attaqué au projet de reddition présenté par le gouvernement. «En présentant le cadrage macroéconomique de notre pays aussi bien nationale qu’international (sic), notre gouvernement affirme qu’il y a persistance des taux d’intérêt haussiers sur la place internationale», déclare-t-il en introduction. Avant de renchérir : «Cette affirmation n’est pas conforme à la vérité». Et de s’expliquer : «Du fait de l’environnement multicrise : sécuritaire, climatique et géopolitique, toutes les puissances économiques du monde avaient revu certes à la hausse leurs taux directeurs à 25%, notamment les Etats Unis et l’Euro zone. Mais à ce jour, ces taux ont été déjà revus à la baisse, et se situent autour de 5%. Il y a un vrai problème de sincérité budgétaire».

Déjà, on se demande ce que vient faire le taux directeur qui relève de la politique monétaire du gouvernement, avec la sincérité budgétaire. Et lorsqu’il quitte la tribune, convaincu d’avoir impressionné son monde, Godé Mpoy s’offre un petit triomphe dans l’une des allées de l’hémicycle, donnant des salutations à ses collègues à gauche et à droite. Sauf que sa déclaration a fait hérisser les cheveux sur la tête de tous les férus des questions économiques, Vital Kamerhe le premier. Le président de la chambre basse du Parlement ne peut alors s’empêcher de lui porter, gentiment, la correction. «Honorable Godé Mpoy, je voudrais d’abord que vous puissiez corriger quelque chose : les Etats Unis n’ont jamais atteint un taux directeur de 25%. Jamais dans l’histoire des Etats Unis», explique M. Kamerhe.

Echange surréaliste

S’engage alors un échange surréaliste. Dans l’allée de l’hémicycle, piqué au vif, Godé Mpoy lève la main et proteste. «Asseyez-vous, c’est le président qui a maintenant la parole. Je suis économiste et professeur comme vous», tonne Vital Kamerhe. Qui se veut précis : «En 2022, les Etats Unis sont passés de 4,25% à 4,50%, en 2023, ils sont à 5,25%». Sur ce, Godé Mpoy frétille, agite sa main, proteste, et crie : «Je suis professeur ordinaire». Ce à quoi Vital Kamerhe lui rétorque : «ça n’a rien à voir avec le fait d’être professeur ordinaire, les données sont disponibles et vous pouvez les avoir. Ces 25% là … même la Banque centrale européenne n’a pas non plus atteint 25%».

Là-dessus, Godé Mpoy, finalement assis sur son siège, a la moutarde au nez. Enervé, hors de lui, il crie, rappelant qu’il sait ce qu’il dit. «Non, non … soyez humble, monsieur le pasteur professeur ordinaire, je vous prie de vous asseoir. Vous avez parlé, et je ne vous ai pas interrompu. Maintenant, en tant que président de l’Assemblée nationale, j’ai l’obligation d’éclairer la lanterne de chaque député ici», déclare Vital Kamerhe. Bouillonnant comme sur des charbons ardents, Godé Mpoy s’écrie : «vous n’avez pas qualité !», provoquant l’hilarité générale dans l’hémicycle.

Toujours serein, le président de l’Assemblée nationale repart : «Calmez-vous, honorable Godé Mpoy. Ceci n’empêche pas que vos observations soient retenues, et que les questions que les questions que vous avez posées aux différents ministres puissent trouver réponses». Et de conclure : «Pour le reste, nous sommes entre scientifiques, vous allez apporter votre source, je vais apporter la mienne. Ça ne sert à rien de s’énerver, je ne m’énerve pas, je vous donnerais la parole la prochaine fois, et vous allez indiquer la source et tout le monde va la vérifier, de 25% de taux directeur aux Etats Unis, même pas au niveau de la Banque centrale européenne».

Graves carences en matière économique

Ce qui est certain est que Godé Mpoy ne prendra pas la patole à la prochaine séance plénière de l’Assemblée nationale. Tout simplement parce qu’il n’aura rien à dire. En effet, le moins que l’on puisse dire est que l’homme a étalé de graves carences en matière économique. Licencié en techniques de développement (et non en sciences économiques) et détenteur d’un DEA et d’un doctorat en économie et développement, il n’a certainement pas de notion d’économie monétaire. Autrement, il saurait que le taux directeur est un outil qu’utilise la banque centrale pour essayer de réguler l’inflation.

En effet, un taux directeur plus élevé contribue à faire baisser l’inflation – car il réduit la demande de biens et services, ce qui a pour effet de ralentir la montée des prix – tandis qu’un taux plus bas contribue à la faire monter. Cependant, s’il freine l’inflation, le taux directeur haut ralentit également la croissance de l’économie, et déséquilibre la balance commerciale car il favorise les importations et freine les exportations. Alors, pour quelle raison les grandes puissances économiques auraient-elles eu intérêt à hausser aussi sensiblement leurs taux directeurs respectifs ? A quelle hyperinflation ont-elles été confrontées pour augmenter ce taux à 25% ?

En réalité, les affirmations de Godé Mpoy sont dénuées de tout fondement, et relèvent du délire pur et simple. Elles sont encore d’autant plus graves qu’elles viennent d’un professeur d’université, car cela montre la qualité des enseignements qui sont données aux jeunes congolais. Tout compte fait, c’est pendant la crise de la Covid-19 que la Federal reserve – Fed en abrégé, la banque centrale américaine – a procédé à une forte augmentation de son taux directeur, le fixant dans une fourchette comprise entre 5,25 % et 5,5 %, soit leur plus haut niveau depuis 2006. Aujourd’hui ce taux est compris entre 4,75 % et 5 %. Selon la FED, l’objectif de cette baisse des taux est d’empêcher le chômage – qui se situe à 4,4% actuellement – de grimper à nouveau alors que l’inflation rentre progressivement dans le rang – à seulement 2,4% pour 2024, et une projection de 2,1% pour 2025. Dans ces conditions, on ne voit pas pour quelles raisons on peut hausser drastiquement le taux directeur.

Ignorance délirante

Même tableau dans la zone Euro. Pendant la crise provoquée par la guerre en Ukraine, l’inflation s’est accélérée, pour atteindre 8,6 % en juin 2022. Celle-ci s’est particulièrement fait sentir sur la hausse des prix de l’énergie qui en a constitué la principale composante. Mais il y avait aussi le renchérissement des produits alimentaires qui s’est accentué, à 8,9 % en juin de la même année, suite au fait que les deux pays européens en guerre, l’Ukraine et la Russie, sont des grands producteurs de produits agricoles, surtout le blé. Face à cette situation, et afin de parvenir à atteindre l’objectif fixé dans la zone euro de 2% d’inflation à la fin de l’année, la Banque centrale européenne (BCE) a alors relevé, le 27 juillet 2022, ses trois taux directeurs, à savoir le taux d’intérêt des opérations principales de refinancement à 0,50 % (contre 0,00% avant), le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal à 0,75 % (il était à 0,25% auparavant) ; et le taux d’intérêt de la facilité de dépôt qui demeure inchangé à 0,00 % à compter du 27 juillet 2022.

Au moment où nous écrivions cet article, une décision de la BCE vient de tomber, annonçant la décision de l’Institut d’émission européen de fixer les taux d’intérêt de la facilité de dépôt, des opérations principales de refinancement et de la facilité de prêt marginal seront ramenés à respectivement 3,25 %, 3,40 % et 3,65 % à compter du 23 octobre 2024. Il faut bien insister sur le fait que, depuis le passage à l’Euro au 1er janvier 1999, le record de hausse d’un taux d’intérêt a été atteint le 9 juin 2000, avec le taux de facilité de prêt marginal à 5,25%. Donc, Vital Kamerhe a raison sur toute la ligne.

Par voie de conséquence, venir du haut la tribune d’une institution aussi respectable que l’Assemblée nationale, parler de taux d’intérêt à 25% aussi bien aux Etats Unis que dans la zone Euro relève d’une ignorance délirante.

Belhar MBUYI