Les professeurs André Mbata (à g.) et Evariste Boshab|Photo : Montage Finance-cd.com
C’est un ouvrage dont le titre seul suffisait à susciter moult réactions, tant il ne faisait pas dans la dentelle en matière de provocation. Livre d’Evariste Boshab, professeur de Droit public à l’Université de Kinshasa, député et secrétaire général du PPRD, le parti de Joseph Kabila alors au pouvoir pour son second et dernier mandat, «Entre la révision de la constitution et l’inanition de la nation» est sorti le 4 juin 2013 aux éditions Larcier à Paris. Préfacé par Henry Simonart, professeur émérite à la Faculté de Droit de l’Université Catholique de Louvain ; broché ; sur 440 pages ; il se vend alors entre 100 et 115 euros. A Kinshasa, son baptême a lieu le mercredi 19 juin 2013 à l’auditorium du Fleuve Congo Hôtel, devant plusieurs personnalités du monde scientifique et politique du pays.
Evariste Boshab y explique que, «porte ouverte sur l’avenir afin que la Constitution ne puisse se scléroser, la révision constitutionnelle passe pour un tabou inviolable, surtout en Afrique subsaharienne où sa simple évocation soulève des passions et suscite des réactions inexplicables». Selon l’auteur, «une lourde suspicion pèse sur toute révision constitutionnelle depuis que l’épidémie de conférences nationales souveraines a redonné voix au chapitre aux peuples autrefois bâillonnés». Si donc la Constitution acquiert le statut d’une citadelle imprenable, Boshab se fait fort d’affirmer que «les fortifications ne sont pas éternelles : elles sont toujours à refaire pour tenir compte de l’effet corrosif du temps sur tous les monuments».
Boshab présente son ouvrage comme «un outil critique des théories sur le pouvoir constituant et le pouvoir de révision, mais aussi un instrument prospectif, eu égard à la rétivité des dirigeants africains difficilement conciliable avec l’impératif de la primauté du droit en démocratie». L’auteur repartit les différents groupes qui préconisent la révision de la Constitution entre les «souverainistes», les «puristes», et les «contextualistes». Il consacre, au passage, de nombreuses pages pour régler des comptes avec la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) et surtout avec le Cardinal Monsengwo, coupables de s’opposer au pouvoir en place et d’avoir rejeté comme non-conformes à la vérité des urnes les résultats des élections de novembre 2011. L’homme plaide alors pour la suppression des matières intangibles prévues à l’article 220 de la loi fondamentale congolaise.
Réaction la plus violente
Des écrits qui suscitèrent des fortes réactions de condamnation à la société civile et dans l’opposition. Première à réagir, l’Association africaine pour la défense des droits de l’homme (ASADHO), l’une des plus actives ONG des droits de l’homme du pays. Dans une communication signée de son président Jean Claude Katende, cette organisation invite le président Kabila, réélu en novembre 2011 pour un deuxième mandat de 5 ans, à «ne pas appuyer les initiatives de certains cadres de la majorité présidentielle tendant à modifier l’article 220 de la constitution». Jean-Claude Katende estime que si la majorité alors au pouvoir voulait renforcer la démocratie, elle devait cesser de penser à donner au président Kabila un autre mandat mais plutôt commencer à préparer une autre personnalité de la majorité pour la présidentielle de 2016.
Mais la réaction la plus violente viendra d’un autre professeur de Droit public à la même Université de Kinshasa, un collègue à Evariste Boshab : André Mbata Mangu Betukumesu. Dans une tribune sur le sujet, l’homme fait feu de tout bois et dégaine carrément un missile thermonucléaire sur le SG du PPRD. Avec méthode, il traite le livre de son collègue d’avoir un titre ronflant, d’avoir été rédigé contre les règles de l’art, d’être méprisant pour ses collègues, et de contenir de flagrantes contradictions et hérésies relavant de la fraude intellectuelle.
Après avoir passé en revue et critiqué les arguments avancés par Evariste Boshab, André Mbata soutient alors que «le savant exercice du ‘‘contextualiste’’ et du ‘‘politologiste’’ consiste d’abord à banaliser les pouvoirs du constituant originaire en l’assimilant au pouvoir constituant dérivé, à fausser la théorie en prétextant que la révision peut être partielle ou totale, et à déverrouiller les matières contenues à l’article 220 en les mettant au même niveau que toutes autres matières constitutionnelles pour les rendre ensuite révisables par le Parlement où son parti et sa coalition détiennent la majorité des sièges».
Et de poursuivre : «Pourtant, cet article 220 interdit toute révision touchant à la forme républicaine de l’Etat, au principe du suffrage universel, à la forme représentative du gouvernement, au nombre et à la durée des mandats présidentiels, à l’indépendance du pouvoir judiciaire, au pluralisme politique et individuel. L’article 220 interdit également toute révision constitutionnelle ayant pour objet ou pour effet de réduire les droits et libertés de la personne ou les prérogatives des provinces et des entités territoriales décentralisées».
Non catégorique à la révision du 220
André Mbata insiste alors sur l’article 220, et relève que Evariste Boshab réserve aux matières contenues dans les dispositions constitutionnelles intangibles, que ce dernier qualifie maladroitement de ‘‘clauses d’éternité’’, «le triste sort que seul Procuste savait réserver à ses victimes : il les tuait et elles mouraient toutes par ‘‘inanition’’ pour non-conformité à la longueur de son ‘‘lit’’, le ‘‘Lit de Procuste’’. Pourtant, les matières prévues à l’article 220 ‘‘ne peuvent faire l’objet d’aucune révision’’». Avant de renchérir sur le même registre : «Au lieu de se contenter de révolter le peuple dont il annonce la mort par ‘‘inanition’’, l’auteur énerve aussi la science du droit et la constitution. D’autre part, aucune théorie, même pas celle dite de la ‘‘double révision’’ qui se fonderait sur l’idée que l’article 220 lui-même ne serait pas verrouillé ne saurait justifier une révision constitutionnelle de ces matières».
Et de dénoncer le pot aux roses : «Evariste Boshab ne le dit pas, mais tout le monde sait que tout ce qui préoccupe le plus le ‘‘politologiste’’ et dont il fait une question de vie ou de mort pour la Nation, ce n’est pas la révision de toutes les matières prévues à l’article 220, mais plutôt le nombre et la durée des mandats présidentiels, le compte à rebours ayant déjà commencé pour le second et dernier mandat présidentiel qui arrive irrémédiablement à son terme en 2016. Cette perspective met dans tous leurs états ceux dont la carrière politique dépend étroitement de la présence de M. Kabila au pouvoir alors que lui-même n’aurait pas grand-chose à craindre pour son avenir, la Nation qui lui demande de respecter la Constitution lui ayant déjà fait la part belle en lui réservant un siège à vie au Sénat».
M. Mbata dit alors un ‘‘NON’’ catégorique à la révision des matières contenues à l’article 220. Et développe son argumentaire : «aucun argument de droit constitutionnel ne permettant de réviser l’article 220 de la Constitution, le président (Kabila) ne devrait pas écouter les vendeurs d’illusions scientifiques et politiques. Toute révision constitutionnelle touchant aux matières prescrites par cet article serait une violation intentionnelle et flagrante de la Constitution punissable de haute trahison». Il appelle le peuple à s’y opposer «énergiquement en recourant à l’article 64 qui l’oblige à faire échec à tout gouvernement inconstitutionnel».
Groggy, à terre
Selon lui, la communauté internationale ne serait pas non plus disposée à cautionner ce qu’il qualifie de ‘‘coup d’Etat’’ «après s’être tue à la suite des élections calamiteuses de novembre 2011». Il évoque le cas du président Mamadou Tandja qui avait cru se donner un troisième mandat au Niger au motif qu’il n’avait pas achevé ses chantiers de modernisation et qui avait fini renversé par l’armée – cas qui devrait servir de leçon. «Au lieu de passer leur temps à fabriquer des arguments pseudo-scientifiques pour amener les présidents à violer les constitutions en se cramponnant au pouvoir, les thuriféraires et tambourinaires du pouvoir devraient plutôt aider ces hommes qui étaient déjà mal entrés dans l’histoire politique de leurs pays à se réconcilier avec leurs peuples en se retirant dignement à la fin de leurs mandats. L’histoire nous apprend qu’aucun mobutiste n’avait suivi Mobutu dans sa chute. Ils étaient les premiers à le renier et à le vilipender en le présentant comme un vilain dictateur. Les courtisans de régimes actuels seront les premiers à bruler demain ceux qu’ils adorent ou encensent aujourd’hui et à sabler du champagne une fois qu’ils ne seront plus au pouvoir. Le jugement de l’histoire est impitoyable et personnel», enchaîne Mbata.
Ce fut un K.O technique. Evariste Boshab était groggy, à terre. Le bouillant journaliste Mike Mukebayi et son journal Congo News, le plus rouge et le plus lu de l’époque, portent André Mbata en triomphe sur plusieurs éditions, et le traitent de ‘‘bourreau scientifique de Boshab’’, une expression qui rentre dans l’histoire. Finalement, il n’y eut pas de révision constitutionnelle, et Joseph Kabila a quitté le pouvoir en janvier 2019.
Onze ans ont passé. Après 37 ans d’opposition, l’UDPS est maintenant au pouvoir, avec Félix Tshisekedi, le fils d’Etienne Tshiskedi à la tête du pays. André Mbata, qui a rejoint le parti tshisekediste peu avant les élections de 2018, a été élu député national en 2018 et réélu en 2023 à Dimbelenge (Kasaï central). Après avoir été premier vice-président de l’Assemblée nationale, le président lui a confié le poste de secrétaire permanent de l’Union sacrée. Au moment où Félix Tshiskedi vient d’entamer son deuxième et dernier mandat constitutionnel, l’UDPS embouche, à la suite du chef de l’Etat lui-même, la trompette de la révision de la constitution, y compris en touchant aux matières intangibles de l’article 220.
La même eau qui coule…
Jean Claude Katende et son ASADHO n’ont pas changé : ils sont toujours sur la même ligne, et s’opposent à toute révision de la constitution qui viserait l’article 220. Le journaliste Mike Mukebayi, élu député provincial de Kinshasa/Lingwala proche de l’opposant Moïse Katumbi en 2018, croupit en prison depuis une année et quatre mois sans jugement. Comme prédit par André Mbata, Evariste Boshab a fait comme les mobutistes qui avaient renié Mobutu : il a
retourné sa veste et a quitté Joseph Kabila pour s’afficher comme un tshisekediste pur et dur. Mal lui en prit : invalidé aux législatives à Mweka en décembre 2023 pour fraude massive, il a été battu aux sénatoriales, et se retrouve sur le carreau.
Désormais, l’opinion se demande si bientôt, André Mbata pourrait chanter à l’unisson avec Boshab le plaidoyer ‘‘entre la révision de la constitution et l’inanition d’une nation’’ menacée, selon les nouveaux maîtres du pouvoir, par l’article 217 qui, selon leur entendement, voudrait que la RDC céda certains de ses territoires à des pays voisins. Les deux hommes pourraient même, ensemble, en profiter pour régler quelques comptes avec la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO), et surtout avec le Cardinal Ambongo, coupables de s’opposer au pouvoir en place. Comme chanterait Michel Sardou : sur les bords du fleuve Congo, c’est toujours la même qui coule, le même raisin qui saoule, la même chanson qui fait danser la foule …
Aristote KAJIBWAMI