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1.400 euros d’amende pour Onana, et 5.000 euros pour son éditeur – verdict au procès Onana : c’est la haine qui a été condamnée

La septième chambre du tribunal correctionnel de Paris a rendu son verdict ce lundi 9 décembre dans le procès Charles Onana. C’est un verdict sans appel qui a été prononcé : une amende de 1.400 euros à l’encontre de Charles Onana, et une autre de 5.000 euros pour son éditeur, Damien Seryex (éditions l’Artilleur) comme principal responsable des propos publiés. Faute de paiement, Charles Onana pourrait faire 115 jours de détention. La sentence peut bien paraître faible, cependant, dans des pays sérieux, pareille condamnation a une portée plus grande, car elle fait perdre à la personne condamnée toute crédibilité aussi bien au sein de l’opinion publique que dans les médias sérieux. Des avocats de M. Onana ont annoncé vouloir faire appel.

C’est l’épilogue d’une affaire qui a commencé en 2019 à la suite de la publication par l’auteur polémiste franco-camerounais de son livre intitulé ‘‘la vérité sur l’opération Turquoise. Quand les archives parlent’’. Plusieurs associations de défense des droits de l’homme comme la Ligue de défense des droits de l’homme (LDH) et la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH ), ainsi que l’association anti-Françafrique Survie France saisissent la justice pour négation du génocide des Tutsi du Rwanda. D’autres associations – la Ligue Internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA), le Collectif des parties civiles pour le Rwanda, l’association des rescapés du génocide des Tutsi Ibuka/France, et la Communauté rwandaise de France – se portent parties civiles.

En cause, une vingtaine d’extraits contenus dans ce livre qui sont présentés comme niant la tragédie vécue au Rwanda en 1994. Il s’agit, entre autres, à la page 198 : «La thèse conspirationniste d’un régime hutu ayant planifié un  ‘‘génocide’’  au Rwanda constitue l’une des plus grandes escroqueries du XXe siècle ». Charles Onana y affirme également, à la page 34, que «le conflit et les massacres du Rwanda n’ont rien à voir avec le génocide des Juifs». Il renchérit à la page 460 : «Continuer à pérorer sur un hypothétique  ‘‘plan de génocide’’ des Hutus ou une pseudo-opération de sauvetage des Tutsis par le FPR est une escroquerie, une imposture et une falsification de l’histoire».

Devant le tribunal, Charles Onana n’a pas eu le courage de ses écrits, préférant nier toute négation du génocide des Tutsi du Rwanda, déclarant même que ce génocide était ‘‘un fait incontestable’’, là où les dizaines des congolais qui s’étaient mobilisés en sa faveur auraient souhaité le voir assumer. «Je ne nie pas du tout le génocide et je ne le ferai jamais», a déclaré l’accusé à la barre, devant un public abasourdi. Il a ajouté qu’il considère «le génocide contre les Tutsi comme étant un fait incontestable», déplorant qu’«on me prête des intentions qui ne sont pas les miennes».

Explication laborieuse

Alors, que met-il en doute dans tous ces extraits de son livre qui ont été lus devant lui ? M. Onana affirme avoir simplement réalisé un “travail de politologue”, expliquant faire la différence «entre les civils tutsi qui ont été victimes d’un génocide et des rebelles qui mènent une action violente et qui ont conquis le pouvoir par la force des armes», en référence au Front patriotique rwandais (FPR, parti au pouvoir à Kigali). Et pour justifier la qualification d’”escroquerie” à propos de la “planification” du génocide, pourtant reconnue par l’ONU et plusieurs juridictions en France et à l’étranger, M. Onana affirme qu’elle renvoie au FPR, «qui le met en avant dès le mois d’avril 94″ sans pour autant “en apporter la preuve».

L’explication est laborieuse, en tout cas tirée par les cheveux, surtout de la part d’un homme qui se qualifie lui-même de “spécialiste de la région des grands lacs”, région d’Afrique à laquelle il a consacré plus d’une dizaine d’ouvrages. Comment peut-il ignorer que le terme ‘‘génocide’’ a été utilisé par la presse, notamment par le journal Libération dès le 11 avril, c’est-à-dire cinq jours seulement après le déclenchement de l’extermination des Tutsi du Rwanda, dans un reportage du  journaliste Jean-Philippe Cetti (“Kigali livré à la fureur des tueurs Hutus“) ; par l’ONG OXFAM, par le général canadien et commandant des forces de l’ONU au Rwanda qui l’utilise dans ses rapports au Conseil de sécurité à partir du 24 avril 1994 ; et même par le pape Jean-Paul II lors de l’audience générale du 27 avril 1994 en appelant les fidèles à une prière fervente pour le Rwanda et en invitant «ceux qui détiennent les responsabilités à une action généreuse et efficace pour que cesse ce génocide».

Ce terme sera également utilisé par le SG de l’ONU de l’époque, M. Boutros Boutros-Ghali lors d’un entretien télévisé à la télévision américaine le 4 mai. Même la France, pourtant soutien du gouvernement génocidaire, commence à l’utiliser mi-mai 1994. Ainsi, Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères français, l’emploi le 15 mai 1994, à l’issue de la réunion du Conseil des ministres de l’Union européenne à Bruxelles, puis, deux jours plus tard à l’Assemblée nationale française. Prétendre que toutes ces personnes et organisations étaient manipulées par le FPR serait prendre les gens pour des idiots. Non, la réalité du génocide était patente pour tout le monde dès le départ, et pas que pour le FPR.

Horreurs et faussetés d’anthologie

Et pourtant M. Onana est, non seulement coutumier du déni du génocide des Tutsi du Rwanda, mais il se signale également dans ses écrits et ses propos, par une haine virulente contre la communauté Tutsi, qu’elle soit de la RDC ou du Rwanda. Quelques rappels. En 2002, un colloque est organisé au sénat français par ceux que le journaliste et historien français Jean François Dupaquier avait qualifié – déjà ! – de “cluster de racistes et négationnistes du génocide des Tutsi du Rwanda”. Parmi eux : le politicien congolais Martin Fayulu, qui affirma trouver anormal le fait qu’il y aurait 500 officiers Tutsi dans les FARDC – chiffre fantaisiste répandu par les extrémistes de tous bords –, ainsi que l’enseignant d’histoire Ndaywel e-Nziem, qui soutint sans froid aux yeux que les Hutu et Tutsi de Rutshuru étaient des immigrés arrivés au Congo quand Barthélémy Bisengimana était directeur de cabinet du président Mobutu – c’est-à-dire entre 1969 et 1977 ! Des horreurs et faussetés d’anthologie comme déclarations !

Au regard de la nature sulfureuse des invités et des discours qui y étaient attendus, l’Académie française des sciences d’outre-mer et le prix Nobel de la paix congolais Denis Mukwege refusèrent de parrainer la manifestation comme c’était annoncé au départ. Bien entendu, Charles Onana ne pouvait manquer à un tel rendez-vous. Il y déclara, s’adressant aux Hutu du Rwanda : «Vous devez accepter d’avoir tué les Tutsi à cause de leur arrogance, de l’humiliation et frustration de plusieurs siècles. […] Dites à Kagame qu’il devra avoir plus de modestie. Nous avons engagé le combat pour la vérité, rien ne pourra plus nous arrêter». En octobre 2019 sur la chaîne LCI, il avait récidivé, niant de manière non équivoque le génocide des Tutsi du Rwanda : «Entre 1990 et 1994, il n’y a pas eu de génocide contre les Tutsi». On ne peut être plus clair !

Dans un autre de ses livres, intitulé “Ces tueurs tutsi au cœur de la tragédie congolaise”, Onana se gausse volontiers du mot «génocide» : «Cette formulation renvoie à une manipulation de la réalité et résulte d’une des opérations de propagande les plus abouties de la fin du XXe siècle concernant les conflits ravageant le continent africain. C’est un chef-d’œuvre de désinformation, une intoxication parfaite». Il ajoute qu’il s’agit d’une «désinformation» dont il fait porter la responsabilité, non pas au FPR comme il l’a déclaré au tribunal lors du procès, mais plutôt aux «organisations internationales des droits de l’Homme […] victimes ou complices de la manipulation médiatique sur le “génocide rwandais”». 

Leçon aux prêcheurs de haine

Au de-là du déni d’un crime de génocide, c’est en réalité la haine que manifeste ce polémiste et qui sous-tend ce déni, qui a été condamnée par la justice française. Une haine, une hargne et un acharnement contre un groupe ethnique dénoncés, depuis la sortie du livre d’Onana, par Amadou Tidiane-Fall, un administrateur civil sénégalais dont la critique ne manque pas d’intérêt, qui écrit dès mars 2020 dans le journal dakarois Sud Quotidien : «Cet acharnement incompréhensible date de longtemps chez vous. En ‘‘enquêtant’’ sur la tragédie au Congo-Zaïre, vous avez publié en 2009 un livre avec un titre provocateur comme s’il manifestait une haine difficilement dissimulée :  ‘‘Ces tueurs tutsi : au cœur de la tragédie congolaise’’. Pourquoi pas simplement ‘‘ces tueurs rwandais’’ ? Ou bien ‘‘ces tueurs rwandais et congolais’’ ? Pourquoi il te fallait le ‘‘tutsi’’ ? Et sur la page de couverture, trois photos à l’appui (les photos de Paul Kagame, de James Kabarebe et de Laurent Nkunda). Et subitement Laurent Nkunda n’est plus congolais mais simplement ‘‘tutsi’’. Vous oubliez sa nationalité pour ne mentionner que son ethnie d’origine. Et pourtant votre collègue journaliste, je veux nommer Maria Malagardis a publié en 2012 un ouvrage retraçant la traque que menait le couple Dafroza et Alain Gauthier en France pour débusquer des rwandais qui étaient hutu et qui étaient soupçonnés du pire crime de génocide et qui avaient refait leur vie à l’hexagone. Ces personnes sont identifiées, leurs fonctions actuelles et anciennes connues. Pourtant Malagardis a choisi un titre simple :  Sur la piste des tueurs rwandais. Ni plus, ni moins, et avec aucune photo à titre d’illustration».

Les associations de défense des droits de l’homme espèrent que, après qu’une personne comme Honoré Ngbanda et ses suivants – les Boketshu, Christian Bola, et consorts – aient réussi à répandre la haine ethnique anti-Tutsi en toute impunité pendant des décennies, rendant la coexistence pacifique difficile en RDC, cette condamnation, qui a décrédibilisé le polémiste camerounais, servira de leçon à tous les prêcheurs de la haine basés en France, et plus généralement en Europe et dans les pays occidentaux.

Mbuta MAKIESSE