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Me Thomas Gamakolo : «La condamnation de Charles Onana vise aussi à réduire la propagation des discours de haine en RDC»

Maître Thomas Gamakolo, avocat au barreau de Kinshasa/Gombe et militant anti-raciste congolaisPhoto : Droits tiers

Suite à la condamnation de Charles Onana par la 17ème chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris en France, nous avons approché Maître Thomas Gamakolo pour avoir sa réaction. Brillant avocat au barreau de Kinshasa/Gombe, l’homme est connu pour sa perspicacité intellectuelle, mais aussi et surtout pour son engagement dans la lutte contre le racisme, les discours de haine ethnique et toutes formes de discrimination. Membre du Collectif contre le racisme et les discours de haine, il a co-signé plusieurs tribunes dénonçant ces fléaux en RDC. Parmi ces tribunes, il y a celle consacrée à l’analyse du dernier livre de Charles Onana intitulé ‘‘Holocauste au Congo’’ et traité alors de ‘‘Bible de la haine’’. Lui et ses deux co-signataires – le journaliste Belhar Mbuyi et l’avocat Percy Tambwe – avaient alors attiré l’attention du gouvernement congolais sur la dangerosité du discours de haine véhiculé par le polémiste franco-camerounais sur la cohésion nationale en RDC. Avec la sérénité qu’on lui connaît, Me Thomas Gamakolo a répondu à nos questions.    

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Finance-cd.com : Charles Onana a été reconnu coupable de contestation d’un crime contre l’humanité, en l’occurrence le génocide perpétré contre les Tutsi du Rwanda en 1994, et condamné par la justice française. Quelle est votre réaction ?

Thomas Gamakolo : C’est un verdict logique au regard des faits dont le tribunal était saisi. Charles Onana a publié un livre en 2019, intitulé ‘‘La vérité sur l’opération Turquoise. Quand les archives parlent’’, qui était censément consacré à l’opération Turquoise, mais en réalité, le tribunal a estimé que ce n’était qu’un prétexte car le but poursuivi en était la dénégation du génocide des Tutsi du Rwanda. Vingt-trois extraits tirés de ce livre, démontrent clairement une volonté de nier de manière outrancière ce crime.

Quel est selon vous la portée de ce verdict ?

C’est un verdict retentissant ! Il a une grande portée dans la mesure où, quand on est condamné pour ce genre d’infraction, on perd toute crédibilité aussi bien dans l’opinion publique que dans la grande presse sérieuse. On devient un marginal dont les thèses n’intéressent que quelques marginaux. C’est donc toutes les thèses de M. Onana qui sont décrédibilisées désormais.

Charles Onana et ses supporters soutiennent qu’il s’agit d’un déni de justice, que l’auteur franco-camerounais était traîné en justice par des associations pro-Rwanda, que la justice française obéit au président rwandais Paul Kagame etc. Que pensez-vous de ces arguments ?

Ces arguments ne sont pas du tout sérieux. D’abord, la France est un état de droit, une nation profondément démocratique. Sa justice, malgré les faiblesses inhérentes à toute œuvre humaine, demeure l’une des plus indépendantes du monde. Elle n’épargne pas les dirigeants français au plus haut sommet de l’Etat. A titre d’exemple, en 2001, Jacques Chirac, alors président de la République, s’était vu convoqué par un magistrat, le juge Halphen, dans le cadre du dossier des HLM de Paris. Une fois son mandat de chef d’Etat achevé, Jacques Chirac a été jugé et condamné par le tribunal correctionnel de Paris à deux ans d’emprisonnement avec sursis pour «détournement de fonds publics», «abus de confiance», «prise illégal d’intérêts», et «délit d’ingérence». Et ce n’est pas le seul cas. Le 1er mars 2021, le tribunal correctionnel de Paris a jugé et condamné l’ancien président de la République française, Nicolas Sarkozy, à trois ans d’emprisonnement, dont un ferme, pour corruption et trafic d’influence. Qui peut s’imaginer sérieusement que cette justice-là, qui n’a pas peur des présidents de son propre pays, peut se mettre aux ordres d’un président d’un petit pays africain et lui obéir ? Ensuite, il faut avoir des égards pour des associations qui représentent notre conscience collective de l’humanité. Une association comme la Ligue française des droits de l’homme (LDH) a été créée en 1898, le grand-père de Paul Kagame n’était pas encore né. Elle a été créée pour défendre un innocent, le capitaine Dreyfus, victime d’une injustice parce qu’étant juif dans une France gagnée à la haine des Juifs. Elle s’est toujours courageusement engagée dans la lutte pour la défense de la justice, des libertés, des droits civiques et politiques, des droits économiques, sociaux et culturels, contre le racisme et l’antisémitisme, n’hésitant pas à ramer à contrecourant du conformisme ambiant. Ce n’est pas aujourd’hui que la LDH va devenir une association à la solde du Rwanda. C’est ridicule ce genre d’accusations. Au demeurant, Charles Onana a fait le choix de quitter son Cameroun d’origine pour aller s’installer en France. Il a ensuite choisi de devenir citoyen français, après avoir apprécié les avantages que lui offrait ce pays. Si donc aujourd’hui, il estime que la France est un pays horrible où la justice est aux ordres d’un président africain, eh bien, qu’il renonce à la nationalité française et retourne vivre dans son Cameroun où la justice est, comme tout le monde le sait, sans doute plus libre et indépendante au pays de Paul Biya.

Pourquoi de nombreux congolais soutiennent Charles Onana dans ce dossier ? N’ont-ils pas raison de vouloir faire entendre leur voix pour les morts de leur pays ?

Ils ont raison de revendiquer la reconnaissance des victimes congolaises de toutes ces guerres qui ont endeuillé la RDC. Mais on ne peut pas parler des crimes de son pays en soutenant un individu qui nie les crimes commis chez les autres ! Sur ce plan, ce sont des gens qui se trompent de colère. Il faut dire que le procès Onana ne concerne en rien la RDC. Depuis sa naturalisation, Charles Onana est citoyen d’un pays, la France, dont une des lois, la loi sur la liberté de la presse, stipule clairement en son article 24 bis, que seront punis d’une peine d’emprisonnement d’une année et d’une amende de 45.000 euros «ceux qui auront nié, minoré ou banalisé de façon outrancière (…) l’existence d’un crime de génocide» reconnu par l’ONU, les instances judiciaires internationales ou la justice française. M. Onana connaissait bien cette disposition en vigueur depuis 2017. Mais il a fait le choix de nier le génocide des Tutsi du Rwanda, en écrivant : «La thèse conspirationniste d’un régime hutu ayant planifié un  ‘‘génocide’’  au Rwanda constitue l’une des plus grandes escroqueries du XXe siècle» à la page 198 de son livre. Ou encore : «Continuer à pérorer sur un hypothétique  ‘‘plan de génocide’’ des Hutus ou une pseudo-opération de sauvetage des Tutsis par le FPR est une escroquerie, une imposture et une falsification de l’histoire» à la page 460. Rien que ces deux passages démontrent sa volonté de nier ce génocide, et M. Onana savait bien à quoi il devait s’attendre. C’est son problème et ça n’a rien à voir avec la RDC. Ce n’est pas nous qui l’avions envoyé nier ce crime. Donc, un étranger, citoyen français, nie en France un crime commis dans un pays étranger, le Rwanda, et la justice de son pays le condamne, quelle est notre part là-dedans ? Rappelons qu’en 2019, le président congolais Félix Tshisekedi, avait condamné ce génocide de manière non équivoque à Kigali, en écrivant dans le livre du mémorial de Gisozi : «Ce génocide est un drame et une horreur inacceptables. Nous devons tous le condamner et prendre l’engagement de ne plus jamais accepter cela, où que ça se passe dans le monde». Cela étant, il est normal que les Congolais expriment leur condamnation des dirigeants rwandais pour leur soutien à la rébellion du M23. C’est une colère légitime. Mais pour cela, ils n’ont pas besoin de soutenir un étranger qui vient semer la haine dans leur pays et dans la région. En outre, Charles Onana n’a même pas eu le courage de ses propos. Après avoir outrageusement nié le génocide des Tutsi du Rwanda dans son livre, devant le tribunal il a démenti avoir nié ce génocide, déclarant même qu’il était un fait incontestable. Alors, ceux qui le soutiennent là, ils soutiennent quoi au juste ? Ils soutiennent la lâcheté de ne pas assumer ses écrits ? Dernière chose sur ce chapitre : la tendance actuelle en Afrique, surtout au sein de la jeunesse africaine, est de tourner la page de la Françafrique, de dénoncer l’interventionnisme politique, économique et militaire française dans les pays d’Afrique francophone. On le voit au Mali, au Burkina Faso, au Niger, et même au Sénégal. Or, Charles Onana se fait le défenseur forcené de l’interventionnisme français dans un pays africain, le Rwanda, à travers l’opération Turquoise. Alors même que des officiers français qui ont fait partie de cette opération, à l’instar du colonel Guillaume Ancel, ont dénoncé son caractère hypocrite visant à soutenir les génocidaires au pouvoir, alors que la France elle-même par son président, a reconnu sa responsabilité accablante dans ce qui s’est passé au Rwanda en 1994 et présenté ses excuses, Charles Onana se fait plus royaliste que le roi, et se bat comme un diable dans un bénitier, sans arguments valables, pour défendre désespérément la France interventionniste en Afrique. La jeunesse africaine ne devrait pas soutenir un tel individu.

Ce jugement peut-il impacter la région des Grands Lacs ?

Tout à fait. Vous savez, depuis près de trois décennies jusqu’à sa mort, Honoré Ngbanda a développé un discours anti-Tutsi virulent, traitant parfois les Tutsi de ‘‘serpents’’.  C’est grâce à lui que la haine des Tutsi s’est popularisée, devenant même un critère de patriotisme pour certains tarés. Tout ceci en toute impunité. Ngbanda a fait de nombreux émules, les Boketshu, Christian Bola, Charles Onana lui-même qui a préfacé un de ses livres etc, qui à leur tour et depuis les pays d’Europe, diffusent la haine contre les Tutsi avec une légèreté déconcertante sur les réseaux sociaux. Avec cette condamnation, chacun sait à présent à quoi s’en tenir : la justice peut sévir à tout moment contre eux. La condamnation de Charles Onana vise, aussi, à réduire la propagation des discours de haine en RDC. En effet, j’ai noté que dans le prononcé du verdict, la présidente du tribunal a déclaré que «la condamnation prononcée à l’encontre de l’un et de l’autre tiendra compte (…) de la nature des faits commis qui témoignent de la dangerosité de la démarche ici poursuivie par Charles ONANA et son éditeur qui, en publiant des propos qui recourent aux procédés rhétoriques propres à toute contestation de génocide, avec la dimension de manipulation et de duplicité dans le discours qu’induisent de tels procédés, viennent attiser des conflits encore actuels dans une région limitrophe au Rwanda et dont les conséquences sur les populations civiles sont d’une extrême gravité. Au vu de ces éléments, il convient de limiter autant que possible, par la peine prononcée, le risque de réitération des faits». S’il est vrai que la RDC n’a pas été nommément citée, il apparaît clairement que c’est bien d’elle qu’il s’agit quand la présidente parle d’une ‘‘région limitrophe au Rwanda’’. Combien de congolais ont capté ce message ? Ceci montre comment notre pays est perçu sur le plan international, c’est-à-dire comme un pays en conflit où fleurissent des discours de haine qui attisent des conflits entre communautés. 

Propos recueillis par Aristote KAJIBWAMI