Six jours après la condamnation de l’auteur franco-camerounais Charles Onana par la justice française pour négation du génocide des Tutsi du Rwanda, Bienvenu Akilimali Munganga a tenu de donner de la voix. Politologue de formation, le président du parti politique Fraternité congolaise (FRACO) a occupé plusieurs postes politiques dans l’administration congolaise, ayant été directeur de cabinet dans plusieurs ministères dont le Développement rural, les Affaires foncières, et Genre, Femme et Famille. L’homme est un fervent soutien de M. Onana, sans pour autant s’aligner obligatoirement sur toutes ses thèses. Micro.
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La 17ème chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris a condamné Charles Onana pour négation du génocide des Tutsi. Quelle est votre réaction ?
C’est une désolation pour nous les Congolais. Nous savons que Charles Onana est d’abord un grand défenseur des Congolais. C’est quelqu’un qui est arrivé à donner la véritable version après des enquêtes qui ont été consacrées à toute une thèse, et qu’il a défendue en France et qui a été reçue avec une grande distinction. Alors, je ne comprends pas pourquoi le même pays qui reconnaît la valeur scientifique de cette thèse, puisse aujourd’hui se dédire dans un jugement, en condamnant Charles Onana. Donc, un contraste, c’est là que je rejoins ce juriste qui avait dit qu’il cessera d’être juriste le jour où la justice cessera d’être injuste. On voit très clairement que le jugement là est ascientifique. Qu’à cela ne tienne, moi-même, je reconnais qu’il y a bien eu le génocide des Tutsi du Rwanda, et je le condamne. Mais la thèse d’Onana voudrait démontrer qu’à côté de ce génocide des Tutsi, il y a eu aussi des massacres des Hutu qui restent silencieux, vous vous rappelez tous ces massacres de Tingi Tingi. Donc je trouve qu’il est inadmissible que Charles Onana soit condamné dans le même pays où il a obtenu le grade de docteur. Quand vous êtes docteur, cela veut dire qu’on vous donne le droit de parler avec une certaine autorité sur certains sujets de votre domaine de recherche.
Juste une précision : les propos incriminés et qui ont valu à Charles Onana cette condamnation, ne figurent pas du tout dans la thèse qu’il a défendue à l’université de Lyon III en 2017. Ce sont des propos qu’il a ajoutés uniquement dans la version livre. Donc il savait que ça ne passerait pas, de tels propos dans un travail scientifique. Alors pourquoi évoquez-vous ici la thèse qui n’a rien à voir avec le procès ?
Non, je crois qu’il faut revenir ici aux fondamentaux. Si vous regardez bien la thèse de Charles Onana, peut-être qu’il n’a pas repris ces propos dedans, mais il le dit peut-être de manière indirecte. La France marche à double vitesse, avec une vérité scientifique, et une vérité judiciaire. Non, ce n’est pas une négation de génocide. Charles Onana a totalement raison, car on ne peut pas dire qu’il y avait une planification de ce génocide. Non. C’est par le fait d’abattre l’avion où se trouvait le président Juvénal Habyarimana qui a déclenché tout cela. Aujourd’hui, il y a des thèses qui démontrent que cet avion a été abattu par un commanditaire qui n’est autre que Paul Kagame. A ce moment-là, Onana a-t-il raison ou pas ?
Mais le génocide ne s’entend, de par sa définition, que par une planification. Tous les juristes qui font autorité en cette matière le disent. Geoffrey Grandjean, Professeur à la Faculté de Droit, de Science politique et de Criminologie de l’Université de Liège, dans son livre ‘‘Les jeunes et le génocide des Juifs’’, explique que le génocide signifie plutôt un plan coordonné de différentes actions visant à la destruction d’un groupe donné en fonction de son appartenance à une race, ethnie, religion etc.
Le génocide ne se confond pas avec une planification de génocide, non. Etymologiquement, le génocide c’est l’élimination systématique d’une race, d’une ethnie etc, qu’elle soit planifiée ou pas, dès qu’il y a volonté de détruire systématiquement une communauté donnée, on parle de génocide. Mais on peut ou ne pas avoir planifié.
L’ancien Premier ministre rwandais, Jean Kambanda, qui a dirigé le gouvernement rwandais d’avril à fin juillet 1994, a plaidé coupable notamment d’”entente en vue de commettre un génocide”. Il a donc admis la planification du génocide des Tutsi du Rwanda. Pourquoi mettez-vous cette planification en doute ?
Ecoutez, moi je ne sais pas ce qui a poussé M. Kambanda à dire ça. Mais moi je peux dire que le génocide ne peut pas se confondre avec la planification. Lorsque Onana dit que cette thèse de planification est une escroquerie, je pense qu’il n’a pas tort.
On a rappelé le plaidé-coupable de Jean Kambanda pour entente en vue de commettre un génocide à Charles Onana lors du procès et il est resté silencieux.
Je dois redire que l’élément déclencheur du génocide, a été l’abattage de l’avion du président Habyarimana. Et aujourd’hui, il y a des thèses qui démontrent que ce ne sont pas les Hutu qui ont tiré sur cet avion, mais ce sont plutôt les gens de Paul Kagame qui l’auraient fait. Si cette thèse était avérée, qui serait alors le planificateur du génocide ?
Mettons encore une fois les choses au clair : cette hypothèse-là avait été portée en justice en France, à une époque où le Rwanda ne s’entendait pas avec le France, il y a eu un procès en France dirigé contre le FPR, l’ancien mouvement rebelle dirigé par Paul Kagame. Cinq experts français et deux britanniques ont été commis par le parquet anti-terroriste de Paris, et dans leur rapport ils ont établi que les tirs de missiles qui ont abattu l’avion étaient partis du camp de Kanombe, et par voie de conséquence le FPR a été définitivement disculpé car on ne peut pas imaginer des soldats d’un mouvement rebelle s’installer avec leurs missiles dans le plus grand camp militaire ennemi.
Nous avons pourtant suivi les déclarations du capitaine Paul Barril sur cette question. Il a affirmé que le coup avait été réalisé par Paul Kagame.
Précisons encore que le capitaine Barril était au service de Mme Habyarimana, et est coutumier de fausses déclarations comme sur les boites noires de l’avion qu’il avait présentées, et que la société Dassault qui avait fabriqué l’avion avait démenti. En outre, il faisait ces affirmations en 2014, mais c’est en 2017 que le tribunal avait appelé tous ceux qui avaient des preuves pouvant incriminer le FPR de les apporter, et il ne s’était pas pointé, alors il y a eu non-lieu.
De toutes les façons, je vous ai dit qu’il n’existe pas de justice juste. On peut vous condamner aujourd’hui, et vous acquitter demain. C’est pour cela que je pense qu’il y a à boire et à manger dans ce procès contre Charles Onana.
Puisque nous en sommes à la planification ou non, pensez-vous qu’on peut arriver à tuer 10.000 personnes par jour pendant trois mois sans planification ?
Je vous dis la vérité, moi j’étais à Bukavu lorsqu’il y a eu génocide au Rwanda. Vous savez, la foule n’a pas d’âme. Lorsqu’elle est déchaînée, il peut y avoir des choses comme ça, lorsque toute une population se met debout pour s’entretuer, il peut y avoir combien de morts par jour ?
N’est-il pas curieux de vous voir soutenir Charles Onana, dont le livre en cause, La vérité sur l’opération Turquoise, défend et justifie l’interventionnisme français dans un pays africain, au moment où la tendance actuelle en Afrique est de dire non à l’interventionnisme occidental, surtout française, dans les pays africains ? Qu’est-ce que vous soutenez au juste ?
Non, il ne faut pas me faire dire ce que je n’ai pas dit. Je ne dis pas que tout ce que Onana dit relève d’une vérité biblique. Moi-même je suis contre l’interventionnisme occidental dans nos pays, qui nous satellise pour que nous ne puissions pas aller de l’avant et trouver notre liberté. Peut-être qu’il faudrait situer les faits dans leur contexte temporel. S’il a défendu cet interventionnisme dans le temps, peut-être qu’il ne le défend plus aujourd’hui. Si je suis contre les dirigeants rwandais, c’est parce qu’ils se sont faits les alliés de l’impérialisme occidental, surtout anglo-saxon, en Afrique. Disons que l’opération Turquoise a quand-même atténué les massacres. Mais il reste que l’interventionnisme français c’est aussi du néo-colonialisme que nous devons condamner. Donc il faut faire la part des choses.
Pour faire bref dans ce cas, un citoyen français est jugé et condamné par la justice de son pays pour avoir nié un crime de génocide dans un pays qui n’est pas le nôtre. En quoi cela nous concerne-t-il pour que ça devienne notre affaire ?
Si nous soutenons Charles Onana, c’est parce que dans ce livre-là, il a fait des révélations graves sur l’exploitation des ressources congolaises, il a donné des preuves que le Rwanda est au Congo, non seulement pour des raisons sécuritaires à cause des FDLR, mais aussi et surtout l’exploitation minière. Il démontre comment, depuis l’AFDL, certaines multinationales occidentales s’étaient organisées pour avoir accès à nos matières premières. Et comme Mobutu ne représentait plus un enjeu, ils se sont choisi un nouveau leader dans la région, et ce leader c’est Paul Kagame.
Qu’est-ce qu’il y a de nouveau, alors qu’il existe depuis de longues années plusieurs rapports de l’ONU particulièrement bien documentés qui ont été publiés sur le pillage des ressources du Congo, le premier, rédigé par une équipe conduite par l’ancienne ministre ivoirienne Safiatou Ba-N’Daw en 2001, qui incriminait beaucoup l’Ouganda, le Rwanda, et les rebelles du RCD et du MLC, et le second, réalisé par l’équipe de l’ambassadeur égyptien Mahmoud Kassem en 2002, qui avait surtout accusé le gouvernement central et ses alliés du Zimbabwe ?
Et pourquoi on le condamne quand il dit la même chose ?
Je rappelle qu’il n’a pas été condamné pour ça, mais pour des faits précis : la négation d’un crime de génocide, la loi française informatique et liberté est claire à ce point.
Les autres l’ont dit d’une façon peut-être journalistique, mais lui, il en a fait toute une thèse. Il a convaincu un jury sur ses dires.
Dans son livre ‘‘Ces tueurs Tutsi. Au cœur de la tragédie des Grands lacs’’, aux pages 99 et 100, Charles Onana essentialise la femme tutsi en la présentant comme étant ontologiquement prostituée et espionne. Qu’est-ce que cela vous inspire étant donné que la femme tutsi fait aussi partie du peuple congolais, parce qu’on la retrouve dans les territoires comme Rutshuru, Masisi, Uvira, Mwenga et Fizi ?
Non, je suis totalement contre ces propos-là, car la femme tutsi reste une femme comme toutes les autres femmes. Il y a une catégorie des femmes qui peuvent être utilisées par le pouvoir du Rwanda, mais ce ne sont pas toutes les femmes tutsi. Ici au Congo, nos femmes tutsi ne sont pas manipulées par le Rwanda, ça nous le savons. En tout cas sur ce point-là je ne suis pas d’accord avec Charles Onana, cette généralisation-là est très tendancieuse et risque de nous conduire à des bas sentiments comme la xénophobie, la haine. Je reconnais que dans les services de sécurité, on peut utiliser des femmes pour faire tomber même des grands hommes politiques, même dans nos services, on peut aussi trouver des femmes qui font le même travail. Mais ce ne sont pas toutes les femmes qui font ça. Si lui il est parti de ça pour généraliser, je crois que c’est une erreur grave, une grave aberration.
Votre mot de la fin pour conclure ?
Je reste convaincu que le Congo se remettra un jour debout. Et le Congo se remettra debout le jour où nous prendrons conscience de notre ambition de grandeur, que la région des Grands lacs dépend de notre existence. Si le Congo se remet debout, toute la région sera entraînée dans ce développement-là. Mais comme nous faisons du surplace, nous stagnons, voyez quelle est la situation en Afrique centrale. Nous devons prendre conscience que le Congo est la gâchette de l’Afrique.
Propos recueillis par MULOPWE Wa Ku DEMBA