Thérèse Kayikwamba Wagner, à gauche, Marco Rubio, au centre, et Olivier Nduhungirehe à Washington, DC, le 25 avril. |Photo : Jim Watson/AFP/Getty Images
Le vendredi 25 avril dernier a été signé une Déclaration de principes entre la RDC et le Rwanda à Washington. L’événement a eu lieu sous les lambris dorés d’un cadre somptueux : le département d’Etat des Etats Unis, poste de pilotage de la diplomatie des USA, au quartier Northwest, municipalité huppée de la capitale américaine qui abrite également la Maison blanche, résidence et bureau du président américain. Face à face, deux ministres des Affaires étrangères venus d’Afrique grand-laquiène, celle de la RDC, Thérèse Wagner Kayikuamba, et celui du Rwanda, Olivier Nduhungirehe. Dans le rôle du médiateur : le maître des lieux, le secrétaire d’Etat Marc Rupio.
Acculé sur le front militaire par les rebelles de l’AFC/M23 soutenus par le Rwanda qui ont conquis coup sur coup les deux grandes villes de la partie orientale du pays, Goma et Bukavu, le gouvernement congolais misait sur une dernière carte : obtenir le parapluie protecteur et le soutien militaire des Etats Unis afin de se prémunir contre toute menace du petit Rwanda qui la fâcheuse habitude de venir exercer son bellicisme sur le territoire congolais. Pour ce faire, il a proposé à Washington un deal ‘‘minerais contre sécurité’’ dont les termes précis n’ont pas encore été révélés. Il a également payé des millions de dollars à des cabinets de lobbying afin de plaider sa cause auprès du nouveau président américain Donald Trump.
Les Congolais avaient nourri beaucoup d’espoirs sur cette démarche dont ils espéraient qu’elle aboutirait à l’ultime coup de grâce à un Rwanda déjà abandonné par les pays de l’Union européenne, assommé par des sanctions multiples et dont les Etats Unis demeuraient le dernier allié, sinon le plus important. Le gouvernement congolais espérait que les Etats Unis tonneraient sur Kigali, l’obligeant de retirer immédiatement ses troupes de soutien à l’AFC/M23, apporteraient un fort soutien militaire à la RDC, et installeraient même une base militaire sur le territoire congolais, là où des pays d’Afrique de l’Ouest – Burkina Faso, Niger, Mali, suivis par le Sénégal et la Côte d’ivoire – mettent fin aux bases militaires occidentales sur leurs territoires sous les applaudissements d’une jeunesse africaine nationaliste survoltée. Cependant, pour le moment, rien de tel ne s’est produit. Les Etats Unis se sont refusé à toute approche coercitive contre le Rwanda. Ils ont même évité toute déclaration boutefeu de condamnation de l’agression. Bien au contraire, ils ont opté pour une douce médiation entre les deux pays, prenant en compte les préoccupations de chacun. Au final, ont décidé de s’inscrire dans le schéma de résolution de ce conflit tel que défini par l’Union africaine avec les processus de Nairobi et de Luanda, et en respectant les initiatives en cours comme celui de Doha au Qatar. C’est ainsi qu’ils ont présidé une déclaration des principes qui permet au Rwanda, soumis à de nombreuses et mortelles pressions de l’UE, de s’en sortir plutôt à bon compte dans un jeu d’équilibrisme dans lequel les deux pays voient leurs préoccupations prises en compte de manière égalitaire. Le plus grand gain pour la RDC reste la reconnaissance de son intégrité territoriale et sa souveraineté, ce qui implique le retrait de toutes les troupes rwandaises de son territoire. Même les rebelles de l’AFC/M23 sont nommément cités dans la déclaration, ce qui constitue une reconnaissance internationale supplémentaire du rôle qu’ils sont appelés à jouer en tant qu’acteur dans le processus de paix.
Au final, la Déclaration de principes prévoit de remplacer l’état de belligérance actuelle par la normalisation des relations diplomatiques entre la RDC et le Rwanda avec la réouverture des ambassades du Rwanda à Kinshasa et de la RDC à Kigali.
Nous avons résolu d’analyser le document qui a été signé entre la RDC et le Rwanda, afin d’ex expliciter quelques points importants.
- ‘‘Chaque Participant reconnaît la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’autre et s’engage sur une voie permettant de régler leurs différends grâce à des moyens pacifiques, ancrés dans la diplomatie et la négociation plutôt que par un recours à la force ou à des discours hostiles’’.
Ce point concerne essentiellement le Rwanda qui est appelé à retirer ses troupes déployées en RDC, et à user, à l’avenir, des moyens pacifiques afin de faire entendre ses revendications sécuritaires. La partie relative aux ‘‘discours hostiles’’ concerne la RDC qui devrait cesser les discours d’attaque de drones sur Kigali et ses appels à renverser le pouvoir de Kigali.
- ‘‘Chaque Participant reconnaît les frontières territoriales établies de l’autre et s’engage à s’abstenir de toute action ou de tout discours qui menace ou remet en question la validité de ces frontières’’.
Ce point concerne également le Rwanda qui a souvent rappelé le fait que certaines localités du Nord Kivu avaient appartenu à l’ancien royaume du Rwanda précolonial, ce qui, pour la RDC, constitue une revendication d’une partie de son territoire. L’intangibilité des frontières héritées de la colonisation telle qu’édictée par l’Union africaine doit être respectée.
- ‘‘Les Participants reconnaissent qu’ils ont tous deux des préoccupations de sécurité légitimes dans la région frontalière qu’ils partagent et s’engagent à remédier à ces inquiétudes d’une manière respectueuse de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des deux Participants’’.
Ceci constitue une reconnaissance de la menace sécuritaire que représentent les FDLR pour le Rwanda, tout en rappelant que cette préoccupation doit trouver des solutions de manière concertée avec la RDC et non en engageant la guerre contre la RDC.
- ‘‘Les Participants reconnaissent que la paix, la sécurité et la stabilité sont essentielles afin d’accroître les échanges commerciaux légitimes et la coopération économique régionale au sens large’’.
Ce point est une invite aux deux pays à restaurer rapidement un climat de paix et de normaliser leurs relations économiques.
- ‘‘Les Participants reconnaissent leur intérêt partagé à limiter la prolifération de groupes armés non étatiques au sein et à travers leurs frontières et s’engagent à s’abstenir de fournir un soutien militaire d’État à des groupes armés non étatique’’.
Ce point concerne les deux pays : le Rwanda doit cesser tout soutien à l’AFC/M23, et la RDC doit arrêter toute collaboration aux FDLR, et neutraliser tous les groupes armées qui pullulent dans le pays.
- ‘‘Les Participants s’engagent envers un cadre d’intégration économique régionale faisant fond sur les efforts existants, notamment l’ICGLR, la COMESA et l’EAC, qui engendre pour les deux Participants un accroissement du commerce et de l’investissement étrangers associé aux chaînes d’approvisionnement de minerais critiques dans la région, qui renforce la transparence afin de permettre aux deux Participants de tirer davantage de prospérité des ressources naturelles de la région grâce à des partenariats économiques et des opportunités d’investissement mutuellement bénéfiques’’.
Ce point vise à créer, dans le cadre de différentes organisations sous-régionales auxquelles les deux pays appartiennent, des interactions économiques mutuellement profitables mais dans une grande transparence. Il ne s’agit pas d’inclure chacun des deux pays à co-gérer les ressources minières de l’autre comme certains le pensent, mais d’un encouragement à instaurer des partenariats mutuellement avantageux. Comme par exemple le Rwanda pourrait raffiner une partie de l’or congolais régulièrement acheté dans sa Raffinerie d’or de Gasabo à Kigali, autant qu’une partie du coltan congolais obtenu dans le respect des normes dans ses deux usines de raffinerie : celle déjà opérationnelle à Kigali et celle en construction à Bugersera.
- ‘‘Les Participants s’attendent à ce que le présent cadre s’accompagne du lancement ou de l’accroissement d’investissements considérables, dont ceux facilités par les autorités et le secteur privé des États-Unis, afin de transformer l’économie régionale dans l’intérêt de tous les pays participants’’.
Le gouvernement américain pourrait aider dans la construction des infrastructures pouvant permettre une meilleure exploitation des minerais critiques dans la région, et les entreprises américaines pourraient investir dans les entreprises d’exploitation minière dans les deux pays.
- ‘‘Les Participants s’engagent à lancer et/ou à élargir la coopération concernant des priorités communes telles que le développement hydroélectrique, la gestion des parcs nationaux, l’élimination des risques sur les chaînes d’approvisionnement de minerais, et des chaînes de valeur transparentes, formalisées et licites de bout en bout dans le domaine minier (des mines aux métaux transformés) qui rassemblent les deux pays, en partenariat avec les autorités et les investisseurs des États-Unis’’.
Ce point insiste sur la transparence de la filière minière et concerne surtout le Rwanda qui est souvent accusée par la RDC, l’ONU et des organisations internationales d’exporter pour son compte des minerais congolais introduits en contrebande sur son territoire. Il invite également les deux pays, qui ont, avec le Burundi, réussi à construire ensemble les centrales hydroélectriques à Ruzizi 1 et Ruzizi 2, à mettre en œuvre la construction des projets communs comme Ruzizi 3 et Ruzizi 4, que les Américains pourraient financer.
- ‘‘Les Participants s’engagent, avec le soutien des organes de l’ONU et des organisations humanitaires concernées, à faciliter le retour sûr et volontaire des déplacés internes dans leur commune d’origine dans l’est de la RDC après le retour de la paix dans ces zones, et des citoyens de la RDC déplacés par le conflit et actuellement présents au Rwanda ou dans d’autres pays, conformément aux obligations juridiques internationales des Participants’’.
Etant donné que la majeure partie des déplacés congolais sont rentrés dans leurs milieux d’origine après la prise de Goma par les rebelles de l’AFC/M23, ce point concerne essentiellement les réfugiés congolais installés au Rwanda et dans d’autres pays de la région comme le Burundi, l’Ouganda, voire le Kenya. Il s’agit essentiellement des Tutsi de Masisi surtout, mais aussi de Rutshuru au Nord Kivu, qui traînent dans des pays voisins depuis 30 ans sans espoir de retour et au nom de qui le M23 prétend se battre. Ce point consacre donc l’engagement de leur retour dans leurs localités respectives en RDC.
Mbuta MAKIESE
Ci-dessous, l’intégralité du texte signé à Washington
DECLARATION DE PRINCIPE ENTRE LA RDC ET LE RWANDA
Département d’État des États-Unis
Bureau des Affaires africaines
Le 25 avril 2025
Entre le Gouvernement de la République démocratique du Congo et le Gouvernement de la République du Rwanda (les Participants), en soutien à une voie vers la paix, la stabilité et le développement économique intégré dans l’est de la RDC et la reprise de relations bilatérales normales entre les Participants. La signature du présent document reflète l’engagement politique des Participants tel que décrit en son sein.
- SOUVERAINETÉ, INTÉGRITÉ TERRITORIALE ET GOUVERNANCE
- Chaque Participant reconnaît la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’autre et s’engage sur une voie permettant de régler leurs différends grâce à des moyens pacifiques, ancrés dans la diplomatie et la négociation plutôt que par un recours à la force ou à des discours hostiles.
- Chaque Participant reconnaît les frontières territoriales établies de l’autre et s’engage à s’abstenir de toute action ou de tout discours qui menace ou remet en question la validité de ces frontières.
- Chaque Participant reconnaît à l’autre le droit souverain de gouverner et d’administrer son propre territoire d’une façon qui n’enfreint pas la souveraineté ou l’intégrité territoriale de l’autre Participant.
- Les Participants s’engagent à s’abstenir de toute ingérence dans les affaires internes de l’autre.
- PRÉOCCUPATIONS DE SÉCURITÉ
- Les Participants reconnaissent qu’ils ont tous deux des préoccupations de sécurité légitimes dans la région frontalière qu’ils partagent et s’engagent à remédier à ces inquiétudes d’une manière respectueuse de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des deux Participants.
- Les Participants reconnaissent que la paix, la sécurité et la stabilité sont essentielles afin d’accroître les échanges commerciaux légitimes et la coopération économique régionale au sens large.
- Les Participants reconnaissent leur intérêt partagé à limiter la prolifération de groupes armés non étatiques au sein et à travers leurs frontières et s’engagent à s’abstenir de fournir un soutien militaire d’État à des groupes armés non étatiques.
- Les Participants s’engagent à étudier la création d’un mécanisme commun de coordination sécuritaire afin de lutter contre les groupes armés non étatiques et les organisations criminelles qui menacent les intérêts de sécurité légitimes des Participants.
- CADRE D’INTÉGRATION ÉCONOMIQUE RÉGIONALE
- Les Participants s’engagent envers un cadre d’intégration économique régionale faisant fond sur les efforts existants, notamment l’ICGLR, la COMESA et l’EAC, qui engendre pour les deux Participants un accroissement du commerce et de l’investissement étrangers associé aux chaînes d’approvisionnement de minerais critiques dans la région, qui renforce la transparence afin de permettre aux deux Participants de tirer davantage de prospérité des ressources naturelles de la région grâce à des partenariats économiques et des opportunités d’investissement mutuellement bénéfiques.
- Les Participants s’attendent à ce que le présent cadre s’accompagne du lancement ou de l’accroissement d’investissements considérables, dont ceux facilités par les autorités et le secteur privé des États-Unis, afin de transformer l’économie régionale dans l’intérêt de tous les pays participants.
- Les Participants s’engagent à envisager des options pour relier le présent cadre à d’autres initiatives internationales ou régionales de développement économique, y compris des projets d’infrastructures.
- Les Participants s’engagent à lancer et/ou à élargir la coopération concernant des priorités communes telles que le développement hydroélectrique, la gestion des parcs nationaux, l’élimination des risques sur les chaînes d’approvisionnement de minerais, et des chaînes de valeur transparentes, formalisées et licites de bout en bout dans le domaine minier (des mines aux métaux transformés) qui rassemblent les deux pays, en partenariat avec les autorités et les investisseurs des États-Unis.
- RETOUR DES DÉPLACÉS INTERNES ET DES RÉFUGIÉS
- Les Participants s’engagent, avec le soutien des organes de l’ONU et des organisations humanitaires concernées, à faciliter le retour sûr et volontaire des déplacés internes dans leur commune d’origine dans l’est de la RDC après le retour de la paix dans ces zones, et des citoyens de la RDC déplacés par le conflit et actuellement présents au Rwanda ou dans d’autres pays, conformément aux obligations juridiques internationales des Participants.
- MONUSCO, FORCES ET MÉCANISMES RÉGIONAUX
- Les Participants s’engagent à soutenir la MONUSCO conformément à son mandat et à protéger, à faciliter et à promouvoir la capacité de la Mission à protéger les populations civiles et à s’acquitter de toutes les obligations qui lui sont confiées par le Conseil de sécurité de l’ONU, y compris les fonctions qui contribuent à la mise en œuvre de la résolution 2773 du Conseil de sécurité.
- Les Participants s’engagent à protéger, à faciliter et à promouvoir la capacité de la MONUSCO ainsi que des forces et mécanismes régionaux à agir conformément à leur mandat, y compris, le cas échéant, pour un mécanisme de vérification convenu et une force d’interposition afin de faciliter l’exécution de bonne foi des présents Principes par les Participants et les groupes armés non étatiques.
- ACCORD DE PAIX
- Conformément aux présents Principes, et dans le droit fil des Processus de Nairobi et de Luanda, désormais fusionnés dans le cadre CEA-SADC, tel qu’approuvé par l’UA avec la facilitation du président Gnassingbé, prenant en considération les discussions de Doha en cours entre le gouvernement de la RDC, le gouvernement du Rwanda et M23/AFC, et en coopération et consultation avec le gouvernement des États-Unis, les Participants s’engagent à se coordonner par l’intermédiaire des voies existantes afin de créer un avant-projet d’accord de paix pour examen commun par les Participants au plus tard le 2 mai.
- Afin de résoudre les désaccords sur le projet d’accord de paix, les Participants conviennent de se rencontrer au niveau des ministres des Affaires étrangères à Washington, une rencontre organisée par le Secrétaire d’État des États-Unis.
Signé à Washington, le 25 avril 2025, en deux exemplaires en langue anglaise.
POUR LE GOUVERNEMENT DE LA RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO | POUR LE GOUVERNEMENT DE LA RÉPUBLIQUE DU RWANDA | ||
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Thérèse Kayikwamba Wagner Olivier J.P. Nduhungirehe
Ministre des Affaires étrangères et Ministre des Affaires étrangères et de la de la Coopération internationale Coopération internationale
En témoigne :
LE GOUVERNEMENT DES
ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE
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Marco Rubio
Secrétaire d’État
LISTE DE SIGLES
CAE – Communauté d’Afrique de l’Est
MONUSCO – Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo
ONU – Organisation des Nations Unies
RDC – République démocratique du Congo
SADC – Communauté de développement de l’Afrique australe
UA – Union africaine