De gauche à droite : Florimond Muteba, Ernest Mpararo, Jean Claude Katende et Georges Kapiamba|Photo : Droits tiers
Les organisations citoyennes engagées dans la promotion de la bonne gouvernance portent une responsabilité particulière : celle de demeurer exemplaires et impartiales dans leurs prises de position. Leur crédibilité repose sur leur capacité à dénoncer, sans complaisance ni favoritisme, les dérives et faiblesses de la gestion publique. Dans un pays où la transparence et la redevabilité demeurent des défis majeurs, elles doivent s’imposer comme des acteurs indépendants, guidés par l’intérêt général et non par des considérations partisanes ou financières.
Or, cette mission noble est menacée dès lors que certaines ONG cèdent à la tentation de se mettre au service des autorités qui les financent. Loin d’être des vigies citoyennes, elles deviennent alors des instruments de justification ou de propagande, détournant ainsi leur rôle initial. Une telle dérive mine non seulement la confiance des populations, mais affaiblit aussi la lutte pour une gouvernance intègre et responsable. Seule une posture neutre et incorruptible peut permettre à ces organisations de rester fidèles à leur vocation et d’exercer pleinement leur mission de contre-pouvoir citoyen.
Des vigies citoyennes sous surveillance
En RDC, deux organisations avaient pourtant éveillé de réels espoirs par la noblesse de leurs engagements : l’Observatoire de la dépense publique (ODEP) et la Ligue congolaise de lutte contre la corruption (LICOCO). Présentées comme des vigies citoyennes, elles incarnaient l’espoir d’une société civile capable de veiller sur la gestion des finances publiques et de dénoncer les abus.
L’ODEP, coalition regroupant neuf structures, s’était assigné une mission ambitieuse : exercer un contrôle citoyen sur le processus budgétaire afin de renforcer la transparence et la redevabilité, combattre la corruption, les détournements et le blanchiment, tout en encourageant la participation active des Congolais à chaque étape des choix financiers de l’État.
C’est dans cet esprit que, début août 2024, l’ODEP publiait un communiqué accusant l’Autorité de régulation de la poste et des télécommunications (ARPTC) de se livrer à un véritable « pillage des ressources publiques », pointant du doigt des pratiques jugées opaques et scandaleuses dans la gestion de cette institution stratégique.
Dans son communiqué, l’ODEP affirmait que chacun des sept membres de l’équipe dirigeante de l’ARPTC percevait en moyenne 340.000 dollars par mois, soit environ 2,3 millions de dollars par an. Sur une période de trois ans, toujours selon l’organisation, ces dirigeants se seraient ainsi partagés pas moins de 18,6 millions de dollars en rémunérations.
Les chiffres avancés étaient précis : le président du conseil d’administration, Christian Katende, toucherait près de 439.471 dollars mensuels, tandis que le salaire le plus bas au sein de la direction s’élèverait tout de même à 319.321 dollars. Quant à la directrice générale adjointe, Lydie Omanga, accusée de percevoir 341.324 dollars chaque mois, elle a choisi de réagir en portant plainte pour diffamation et imputations dommageables.
Caractère léger des accusations
Devant la justice, Florimond Muteba n’a jamais été en mesure de produire les preuves étayant ses accusations. Plutôt que de se conformer aux exigences d’une démarche sérieuse et transparente, il a préféré adopter une posture victimaire, dénonçant une prétendue tentative d’intimidation de la part du pouvoir en place. Une telle attitude, basée sur l’émotion et la rhétorique plutôt que sur des faits vérifiables, nuit à sa crédibilité et semble bien éloignée du comportement attendu d’un acteur qui se présente comme un défenseur de l’État de droit et de la transparence dans la gestion publique.
Comme sur le dossier ARPTC, et toujours dans l’ombre de son partenaire Jules Alingete, Florimond Muteba s’illustre le 24 avril 2024 par un nième assaut contre le ministre des Finances de l’époque. Son communiqué sur le dossier des forages n’est qu’un catalogue de confusions, de faux chiffres et d’affirmations erronées, le tout emballé dans un langage pour le moins ordurier.
Quelques semaines plus tard, le 22 mai 2024, il récidive en volant au secours d’Alingete, défendant sans vergogne ses interférences illégales dans l’exécution des dépenses publiques. Il s’appuie pour cela sur une prétendue instruction du Directeur de Cabinet du Chef de l’État, oubliant délibérément que l’ordre institutionnel en vigueur en RDC interdit formellement à ce dernier de se substituer à l’ordonnateur des dépenses publiques. Toute instruction doit obligatoirement transiter par le Premier ministre. Ce rappel avait d’ailleurs déjà été fait en Conseil des ministres et acté par le gouvernement, preuve du caractère irrégulier de ces manœuvres.
Dans une surenchère populiste, Muteba va jusqu’à accuser le Ministre des Finances de percevoir 40 % de tous les paiements ordonnancés. Une accusation d’une extrême gravité, lancée sans la moindre preuve, qui illustre la légèreté avec laquelle l’ODEP et ses partenaires de l’IGF manipulent l’opinion publique.
Des accusations légères pour un agenda sombre
Ce comportement répétitif, qui mêle approximations, diffamations et mise en scène, ne peut s’expliquer que par l’appartenance de ces acteurs à un même réseau. Un système qui ne vise ni la transparence ni la bonne gouvernance, mais plutôt le règlement des comptes et la déstabilisation de personnalités ciblées, pour des raisons purement politiciennes.
La deuxième organisation, la Ligue congolaise de lutte contre la corruption (LICOCO), est dirigée par Ernest Mpararo. Elle se donne pour ambition de voir un jour la RDC devenir un véritable État de droit, débarrassé de toute forme de corruption, où les lois seraient respectées et les détourneurs systématiquement poursuivis et sanctionnés. LICOCO revendique comme valeurs cardinales l’intégrité, l’éthique, la transparence et la bonne gouvernance. Sur son site, elle met en avant ses partenariats avec Transparency International, le gouvernement du Canada, l’Agence française de développement et l’Union européenne, se présentant comme une sentinelle inflexible de la lutte anticorruption dans la sphère publique.
Le scandale des 28 millions de « jetons de présence »
Début 2024, Florimond Muteba et Ernest Mpararo furent désignés parmi les 267 experts appelés à renégocier le très controversé contrat Sicomines. L’opinion publique attendait logiquement de ces figures de la société civile qu’elles s’emploient à défendre les intérêts du pays, en obtenant des termes justes et transparents, loin de toute pratique douteuse ou arrangement corrupteur.
Mais la suite a pris une tournure inattendue et choquante. Selon les révélations, les membres de la commission interinstitutionnelle se sont octroyé pas moins de 28 millions de dollars américains sous forme de prétendus « jetons de présence », en dehors de toute règle administrative et éthique en matière de finances publiques. À l’origine de ce montage, l’Inspecteur général des finances de l’époque, Jules Alingete, qui avait sollicité – en violation flagrante la loi – la partie chinoise pour financer ces gratifications, tout en favorisant largement le comité restreint. Une telle initiative, venant de celui qui se posait en gardien de l’orthodoxie financière, apparaissait comme un déni de la déontologie, une entorse manifeste à la loi et un affront aux principes élémentaires de la gestion des finances publiques.
La partie chinoise avait accepté cette manœuvre à condition que ces sommes soient défalquées des crédits initialement réservés à la construction d’ouvrages publics. Autrement dit, l’État congolais a renoncé à une part de ses projets de développement pour enrichir un petit cercle de privilégiés, ce qui correspond clairement à un détournement de fonds publics.
Face à ce scandale, les deux figures de proue de la lutte anticorruption sont restées étrangement silencieuses. Aucune dénonciation, aucun communiqué, rien. Selon plusieurs sources, ils se seraient contentés d’empocher un montant de 100.000 USD chacun, en contradiction flagrante avec les valeurs qu’ils revendiquent.
Dans ces conditions, l’équipe des experts congolais n’a pas fourni le travail attendu d’elle. Bien au contraire, les nouveaux termes du contrat Sicomines semblent, à bien d’égards, pires qu’avant. En effet, loin de corriger les déséquilibres dénoncés depuis des années, l’avenant 5 au contrat Sicomines a au contraire maintenu des exonérations fiscales exorbitantes, qui continuent d’asphyxier les finances publiques. Il renforce avec flagrance le déséquilibre de traitement en faveur de cette entreprise chinoise, en comparaison avec le reste des entreprises minières.
Le cartel de la société civile sous contrat
Présentés comme les vigies de la bonne gouvernance, Florimond Muteba (ODEP), Jean Claude Katende (ASADHO) et Georges Kapiamba (ACAJ) se sont imposés comme des voix incontournables de la lutte contre la corruption. Mais derrière cette façade morale, un malaise grandit : leurs méthodes, leurs silences et surtout leurs accointances avec l’Inspection générale des finances (IGF) de Jules Alingete jettent le doute sur leur indépendance.
Des vigies… sélectives
Tous trois, conjointement avec d’autres ONG, ont signé un protocole d’accord avec l’IGF, censé renforcer le contrôle citoyen. Dans les faits, cette alliance ressemble davantage à une mise sous contrat de la société civile par l’État. Depuis, leurs indignations semblent calibrées : certaines affaires sont montées en épingle, d’autres soigneusement évitées. Résultat : une dénonciation sélective, plus médiatique qu’efficace, qui nourrit l’impression d’une société civile instrumentalisée.
Des présidents à vie en porte-à-faux
Autre contradiction flagrante : ces « défenseurs » de la démocratie et de l’éthique se sont installés en présidents à vie à la tête de leurs ONG. Florimond Muteba à l’ODEP, Ernest Mpararo à la LICOCO, Jean Claude Katende à l’ASADHO et Georges Kapiamba à l’ACAJ s’éternisent dans leurs fonctions depuis des décennies, sans processus clair de renouvellement. Une dérive qui renvoie l’image d’organisations verrouillées, en décalage complet avec l’exemplarité qu’elles exigent des institutions publiques.
Une opacité coupable
Des sources rapportent une incohérence majeure quant à la gestion même de ces ONG. «Aucune d’elles n’est en mesure de produire des comptes clairs, transparents et réguliers, sur les financements et revenus de leurs structures. Ni audits publiés, ni rapports financiers détaillés, ni communication sur l’utilisation des fonds reçus des bailleurs ou des partenaires publics ou privés», confie un observateur avisé.
Le paradoxe est cruel : ils dénoncent la corruption, les détournements et l’absence de reddition de comptes dans l’administration congolaise, mais leurs propres ONG fonctionnent dans la même zone grise d’opacité qu’ils prétendent combattre. En d’autres termes, ils reproduisent exactement ce qu’ils reprochent aux institutions publiques : le double langage, l’absence de redevabilité et la gestion à huis clos.
On constate ainsi un alignement idéologique et politique entre certaines organisations de la société civile, l’Inspecteur des Finances Jules Alingete – gentiment limogé depuis – et le Ministre Constant Mutamba, l’ancien ministre de la Justice condamné pour détournement des fonds. En voici quelques exemples.
Quand les « anticorruption » défendent les « corrompus »
Au début, Florimond Muteba et l’ODEP étaient critiques envers Jules Alingete Key. Ainsi, le 9 octobre 2021, l’observatoire accusait l’Inspecteur général des finances-chef de service de faire l’apologie de la mégestion des finances publiques et de couvrir la gabegie financière à la Présidence de la République, devenue, selon lui, le symbole des dépassements budgétaires pour cause de mauvaise gestion. Dans un communiqué rendu public alors, l’ODEP estimait que «la déclaration de l’Inspecteur général de l’IGF et chef de service, Jules Alingete lors du point de presse conjoint avec le Porte-parole du Gouvernement, a vidé de sa substance la crédibilité dont jouissait jusque-là cet organe supérieur de contrôle».
Moins de deux ans plus tard, le 23 février 2024, alors que M. Jules Alingete est accusé d’avoir supervisé une grave fraude fiscale en faveur de Rawji, société cliente de son cabinet d’audit, Florimond Muteba vole à son secours pour dénoncer des manœuvres visant à «déstabiliser, discréditer, diaboliser et fragiliser la fonction de contrôle au sein de l’État, avec comme cible : l’IGF qui a su résister contre tous les antivaleurs qui gangrènent la gouvernance de notre pays».
Suite aux mêmes graves accusations, Jean-Claude Katende, président de l’Association africaine de défense des droits de l’Homme (ASADHO), a pris aussi la défense d’Alingete sur Twitter le 7 avril 2024 : «L’inspection Générale des Finances( IGF), sous la direction de Mr Jules Alingete, a rendu des services loyaux à notre pays en traquant les criminels économiques et financiers, d’une part, en protégeant l’argent de l’Etat, d’autre part. Mr Jules Alingete s’est distingué dans ce travail comme étant un des meilleurs d’entre nous. Nous avons le devoir de le protéger et de protéger toutes/tous celles ou ceux qui se distinguent dans leur travail fait pour le bien du Congo», écrit-il.
Cinq jours plus tard, c’est au tour d’Ernest Mpararo de donner de la voix. Le président de la LICOCO dévoile même le pot aux roses le 12 avril 2024 : « En tant que société civile nous avons un partenariat avec l’IGF. Et lorsque l’un des partenaires est attaqué, nous devons le soutenir».
Voilà donc des chantres de la bonne gouvernance qui sont liés par des partenariats avec des autorités politiques qu’ils s’engagent à défendre quand elles sont attaquées, sans se préoccuper le moins du monde des graves accusations de malversations financières qui pèsent sur elles ! On va noter le même soutien massif de la part des mêmes acteurs de cette société civile en faveur de Constant Mutamba lors de son procès, dans une démarche visant à délégitimer la justice dans son travail.
Ainsi, dans son communiqué du 02 août 2025, l’ASADHO alertait sur «la violation de principes d’un procès équitable et juste dans le procès de l’ancien ministre de la Justice à la Cour de cassation». Trois jours plus tard, c’est au tour de l’ACAJ de publier un communiqué dans lequel elle accuse la Cour de cassation de «violation de principes», et se dit «vivement préoccupée par la manière dont se déroule le procès sur le détournement supposé des fonds liés à la construction d’une prison à Kisangani». Enfin, le 26 août 2025, c’est l’ODEP qui se déclare “profondément préoccupé” par les violations des règles démocratiques et des droits fondamentaux relevées dans le procès Constant Mutamba». Les mêmes mots, à croire qu’ils s’étaient passé le mot, ou plutôt qu’ils avaient reçu le même mot d’une même source !
En se faisant les avocats des corrompus, ceux qui se proclamaient vigies citoyennes ont fini par trahir leur mission et par rejoindre le système qu’ils prétendaient combattre. Le peuple congolais n’oubliera pas que, lorsque l’histoire appelait au courage, ils ont choisi le confort du silence et l’opportunisme des complicités.
Autre cas : La Cour des Comptes met en cause l’Inspecteur général des finances pour irrégularités dans la conduite d’une mission de service effectuée à la Générale des carrières et des mines (Gécamines) le 7 novembre 2023. En effet, «Les inspecteurs détachés pour effectuer la mission de 90 jours ont été doublement rémunérés. D’abord par le Trésor public et ensuite par la Gécamines. Au lieu de faire le contrôle, ces derniers se sont transformés en consultants de la Gécamines. C’est une faute de gestion», fait savoir le parquet près la Cour des comptes. Immédiatement, l’ODEP et la LICOCO entre en danse pour défendre l’IGF-CS incriminé.
«L’observatoire de Dépense Publique ( ODEP) et la Ligue Congolaise de lutte contre la corruption ( LICOCO) notent avec regret que le Parquet général Près la Cour des comptes qui devrait travailler en synergie avec l’IGF pour répondre aux attentes du Chef de l’état sur la lutte contre la corruption s’illustre par des attitudes contre productives. (…) La société civile invite le Parquet général Près la Cour des comptes à éviter de tels agissements qui sont de nature à jeter un discrédit sur cette institution importante du pays », écrivent MM. Muteba et Mpararo dans un communiqué conjoint.
La malédiction des complicités
Jadis présentés comme des phares moraux de la société civile congolaise, les dirigeants de certaines ONG apparaissent aujourd’hui comme des personnages aux zones d’ombre. Sélectifs dans leurs indignations, leurs coups d’éclat médiatiques masquent souvent un manque de rigueur. Ils incarnent à eux seuls les contradictions d’une société civile souvent plus soucieuse de prestige que de justice.
En définitive, ces scandales et ces complicités trahissent une réalité persistante : derrière le vernis des institutions et des vigies citoyennes, le système continue de protéger ses véritables architectes, laissant le peuple congolais face à l’injustice et aux illusions d’une lutte anticorruption trop souvent théâtrale.
Julie AKAMBO wa METE, analyste politique