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Budget : à la moitié de l’année, on est à 25% des recettes, Aimé Boji n’est pas à sa place

C’est déjà l’heure des comptes, ceux de la mi-saison, car c’est eux qui montrent l’horizon de fin d’année vers lequel on se dirige. Au plan budgétaire, c’est l’inquiétude : un budget inutilement surdimensionné et ne pouvant, de ce fait, être réalisé, cause des déficits abyssales couverts par la planche à billet, ce qui provoque l’envolée de l’inflation. Les observateurs s’interrogent : y’a-t-il un capitaine au Budget ?

Selon le condensé d’informations statistiques n°25 publié par la Banque centrale du Congo, et qui reprend la mobilisation des recettes publiques jusqu’au 23 juin 2023, il y’a mille raisons de s’inquiéter quant à la bonne fin de l’année budgétaire. Pompeusement fixé à 16 milliards de dollars par un ministre dont on se demande s’il comprend quelque chose au budget, la loi de finance 2023 a du plomb lourd dans l’aile. A la quasi-moitié de l’année, les chiffres sont catastrophiques.

Sur des prévisions annuelles de recettes de l’ordre de 30 299 631,69 milliards de francs congolais, le total en ce qui concerne la mobilisation des recettes n’a été que de 10 075 895,98 milliards de francs, soit 33,25%, au taux budgétaire – illusoire ! – de 2.021 FC pour un dollar. Ce qui revient à dire, qu’au taux réel – celui du marché, le seul qui compte – de 2.500 FC pour le dollar, cela équivaut à 25% seulement de réalisation à mi-2023. Une vraie catastrophe en cette année électorale.

Conséquence logique : les caisses de l’Etat sont vides. Et pour faire face à ses dépenses urgentes, le gouvernement en est réduit à émettre des bons de trésor – titres obligataires émis par l’État, par l’intermédiaire du Trésor public et remboursables à échéance. Mais là aussi, les choses ne roulent guère comme sur des roulettes. La dernière émission des bons de trésor, celle du mardi 27 juin pour trois mois, pour le montant annoncé de 120 millions de dollars américains, n’a récolté que 65 millions de dollars US, soit seulement 54% du total attendu. Conséquence : la planche à billet, financement monétaire des déficits budgétaires, est enclenchée, aggravant du coup l’inflation dans le pays.

Ministère technique

Questions : comment est-ce que le ministre du Budget, l’UNC Aimé Boji Sangara, n’a rien vu venir pendant les quatre premiers mois ? Pourquoi n’a-t-il pas enclenché le processus d’élaboration, d’adoption et de promulgation d’une loi de finance rectificative (LFR) de manière à placer les dépenses des différentes administrations dans un nouveau cadre plus réaliste ? Pour un ministère aussi technique, et qui nécessite des personnes rompues aux questions des finances publiques, Aimé Boji Sangara, qui n’a jamais élaboré le moindre budget d’une banale boutique de sa vie, est-il vraiment à sa place ? Poser la question, c’est y répondre.

En effet, aux termes du décret n°22/37 du 29 octobre 2022 signé par le Premier ministre portant gouvernance budgétaire, la politique budgétaire est élaborée sur la base d’une ‘‘analyse approfondie de la conjoncture nationale et internationale portant, notamment, sur la pression fiscale, les risques budgétaires, la fiabilité des prévisions macro-budgétaires, la capacité d’absorption des crédits budgétaires, la soutenabilité de la dette, le niveau du solde budgétaire et les modalités de sa gestion’’. Elle peut, cependant, être ‘‘ajustée en fonction de l’évolution du contexte socio-économique du pays. Elle se conforme aux engagements souscrits par l’Etat dans le cadre des conventions régionales et internationales’’.

De même, il appartient au ministre du Budget d’élaborer chaque année et ce, pour trois ans, le Cadre Budgétaire à Moyen Terme, CBMT en sigle, document qui détermine, ‘‘l’ensemble des dépenses et des recettes du budget général, des budgets annexes et des comptes d’affectation spéciale du Pouvoir central, des provinces et des Entités Territoriales Décentralisées selon le cas, le solde qui s’en dégage ainsi que l’endettement’’. Le même ministre fixe également ‘‘l’évolution des principaux agrégats des Finances publiques, notamment du déficit public, de la dette, des dépenses et des recettes publiques’’, et définit ‘‘les grandes orientations et la trajectoire des Finances publiques à moyen terme du Pouvoir central, de chaque province et de chaque Entité Territoriale Décentralisée’’.

D’où la dernière question : sur base de quels agrégats macroéconomiques, Aimé Boji a-t-il élaboré un CBMT qui lui a permis d’arriver à confectionner un budget de 16 milliards de dollars américains ? «L’économie, ce ne sont pas des rêveries de bonnes sœurs», soupire un observateur. Qui se demande pourquoi le ministre du Budget n’a pas initié à temps un projet de collectif budgétaire rectificatif, comme cela s’est toujours fait, ici comme ailleurs, lorsqu’il devient évident, pour une raison ou une autre, qu’on est loin du compte des prévisions initiales.

Ici comme ailleurs

Ici : suite à la chute des cours du cuivre et du cobalt, l’alors Premier ministre Augustin Matata Ponyo avait fait adopter, en mai 2016, un projet de loi de finance rectificative, ramenant le total du budget de 8 milliards USD à 6 milliards. L’homme à la cravate rouge avait mis ses ministres à diète, réduisant de 30% le train de vie et le fonctionnement de l’Etat et des ministères. Les voyages des ministres furent réduits au strict nécessaire. Mais aujourd’hui, malgré cette contreperformance, les ministres sont tout le temps à l’extérieur du pays, voyageant comme des pigeons du Moyen-âge, même pour des histoires banales. En novembre 2021, l’opinion s’était gaussée de voir le ministre de la jeunesse, Yves Bunkulu, entreprendre tout un voyage en France où il ne participera à aucune conférence internationale, aucune séminaire ou séance de travail avec nul officiel français, son voyage se limitant à être reçu au siège d’En marche par Ambroise Mejean, chef de la ligue des jeunes du parti de Macron ! Comment le ministre du Budget signe-t-il la demande des fonds pour une telle mission, et comment son collègue des Finances l’ordonnance-t-il ? Mystère !

Ailleurs : au regard de la baisse drastique des cours du cacao et du café, le gouvernement ivoirien fit adopter un budget rectificatif en mai 2017, réduisant le budget de (seulement !) 9%. Le budget initial qui était de 6 501 milliards F CFA (9,9 milliards d’euros) fut ainsi ramené à 6 447 milliards F CFA.

Mais on peut également initier et faire adopter une LFR dans le cas d’une substantielle augmentation des recettes par rapport aux prévisions. C’est ce qui est arrivé en Côte d’ivoire en 2020. Pour avoir obtenu des concours internationaux afin de lutter efficacement contre la COVID 19, le ministre du Budget et Portefeuille de l’Etat, Moussa Sanogo, présenta une LFR qui se traduisit par une hausse globale nette du budget de 354, 377 milliards Fcfa, soit de 8061,013 milliards Fcfa initialement prévus, à 8415,390 milliards Fcfa. Voilà comment cela se fait là où il existe la rigueur et l’orthodoxie budgétaires. Et les ministères techniques sont tenus par des personnes attitrées.  

En RDC, le pays est en passe de réaliser sa contreperformance la plus cauchemardesque, mais Aimé Boji Sangara roucoule tranquillement dans son bureau.

Mbuta MAKIESSE