Tout semblait bien coordonné. La veille, c’est un vieil article du journal zambien Lusaka Times du 30 août 2018 qui est remis au goût du jour, par sa publication bien orchestrée dans certains journaux de Kinshasa. L’article rapporte les propos d’un opposant zambien, Mwenya Musenge, qui interrogeait le ministre de l’Intérieur de son pays sur un supposé passeport diplomatique que détiendrait Moïse Katumbi. Sur la RTNC, la revue de presse est organisée exceptionnellement à l’intérieur du JT de 20h. Elle est largement consacrée, bien entendu à la reprise de cet article d’il y a … 5 ans !
Dès le lendemain, c’est au tour de Jean Pierre Bemba, VMP en charge de la Défense nationale, mais dans son rôle de l’un des animateurs de la campagne électorale du chef de l’Etat, de tenir meeting au stade municipal de Masina à Kinshasa-Est. Au menu : une attaque en règle contre Moïse Katumbi, appelé à dire aux Congolais s’il est congolais ou zambien, en rappelant, bien sûr, qu’un opposant zambien avait posé la question sur le fait que l’ancien gouverneur du Katanga, aujourd’hui candidat à la présidentielle, aurait détenu un passeport diplomatique zambien. Il n’en fallait pas plus pour faire monter le mercure dans le camp katumbiste.
Premier à dégainer : Olivier Kamitatu, ancien ami, collègue de classe à l’université, et secrétaire général du parti de Bemba, le MLC, actuellement directeur de cabinet de Moïse Katumbi. La réplique est, somme toute, thermonucléaire. «Après avoir écouté JP Bemba déblatérer ses attaques personnelles contre MK et SK (Salomon Kalonda), j’ai éprouvé une profonde tristesse. Le dictionnaire affirme que la manifestation d’une grande bassesse de caractère tient de l’égoïsme sordide d’une personne marquée par l’âpreté au gain, la mesquinerie et l’avarice. Tout est dit !», lance OK sur son compte twitter.
Avant de continuer sur le même ton au vitriol : «Au-delà de ces considérations somme toute personnelles, une évidence crève les yeux : toutes les valeurs de vivre ensemble – la solidarité, la tolérance, le respect, la justice, la liberté, l’égalité – sont mises à mal par ceux qui sont gagnés par la peur d’une déroute électorale fracassante. Notre identité est également menacée. Chaque jour le régionalisme et le tribalisme gagnent du terrain. Ceux qui aujourd’hui exaltent le racisme et la xénophobie dans le fol espoir de conserver le pouvoir par des voies frauduleuses n’ont pas leur place dans le roman national». Et de conclure par une exhortation : «Ils se condamnent à l’oubli. Ensemble, il est encore temps de nous ressaisir et, dans un sursaut national, d’écarter le pire et sauver notre Nation. Le 20 décembre nous en donne l’occasion !».
‘‘Du sang portugais’’
A peine a-t-on le temps de souffler que Stavros Papaianou, ancien patron de la compagnie aérienne Hewa Bora et proche lui-aussi du président d’Ensemble de dégainer : «Qu’est-ce qui a donc piqué l’âme de Jean-Pierre Bemba au point de s’acharner violemment contre Moïse et Mukwege ? La réponse est simple. C’est le triomphe de Moïse dans l’Équateur, son fief, qui a transpercé le cœur de Jean-Pierre. Moïse a conquis l’Équateur, reléguant Jean-Pierre dans l’ombre. De Mbandaka à Gemena, de Gbado à Lisala, partout, Moïse a su charmer l’Équateur. Et la recette n’était pas compliquée : Félix a promis l’établissement d’une très grande université à Mbandaka, négligeant aussi totalement les autres cités, préférant se pavaner dans les salons les plus prestigieux du monde».
Et de renchérir : «Le peuple pourtant, plongé dans une extrême pauvreté, aspire à autre chose, plaçant en Moïse son espoir. Mais quel reproche lui adresse-t-il à Moïse ? Une prétendue nationalité zambienne. Il n’est pas Zambien, il ne l’a jamais été, en aucune manière, les affaires étrangères Zambiennes l’ont déjà confirmé. Pourtant, lors de ses escarmouches avec Kabila, il eut été judicieux à mon avis, de recourir à un passeport diplomatique pour pouvoir voyager, car nous le savons le passeport diplomatique comme celui remis à JC Van Dame, n’altère pas la nationalité d’origine. Quoi qu’il en soit, la Cour Constitutionnelle a déjà examiné ces allégations et les a rejetées. Jean-Pierre n’est pas au-dessus de la Cour Constitutionnelle à ce que je sache ! Quant aux attaques lancées contre Mukwege, elles ont été vivement condamnées ! Tourner en dérision les exploits de Mukwege est tout bonnement outrageant, personne ne l’a félicité pour cette autre bourde. Quant à ce pauvre Salomon, dont les accusations évoluent de semaine en semaine sans pour autant être définitives, elles ne constituent qu’un tissu de mensonges. Sans craindre de me tromper, je puis affirmer que cette diatribe de Jean-Pierre révèle un malaise évident au sein du régime actuel : ils ne pourront pas l’emporter, et comme votre ainé, je vous dis, commencez à vous préparer car le prochain président est …»
Dès la seconde qui suit, c’est au tour de Michael Tshibangu de canarder à son tour Jean Pierre Bemba Gombo. Au moment où la stratégique localité de Mushaki, en groupement Kamuronza, territoire de Masisi à 36 Km de Goma, venait de tomber entre les mains du M23, il raille copieusement le ministre de la Défense : «Voilà ce qui devrait l’intéresser. Pendant ce temps, JPB, ministre de la Défense, qui a lui-même du sang portugais, cherche à savoir si MK est congolais ou zambien. Pour moi, c’est plus un lanceur d’alerte qu’un ministre».
Last but not least, c’est au tour de Samba Yerodia, membre de la famille de l’ancien vice-président de la République pendant la Transition 1+4, de se lâcher : «Surtout que Lumbala avec qui il avait lancé l’opération “Effacer le Tableau” est en prison. Les Congolais ont été massacrés, des femmes violées, de nombreuses atrocités ont été commises par les soldats du MLC et ceux du RCD-N de Roger Lumbala( Rapport mapping). Un jour, il voyagera à l’étranger et sera détenu comme Lumbala. Avec un passé comme le sien, il devrait éviter de créer à nouveau des tensions en RDC».
Franchement, M. Bemba en a pris des vertes et des pas mûres ! Après avoir connu une dérive identitaire, la campagne électorale congolaise est plus déchaînée que jamais. L’opinion, qui attendait le déroulement des programmes et des bilans, est désarçonné par la violence et les attaques personnelles, et le tour identitaire, voire raciste, que prend la campagne.
Mbuta MAKIESSE