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OPINION – Mandela a eu des passeports diplomatiques de trois pays étrangers : un passeport diplomatique établit-il la nationalité de son détenteur ?

Il y a quelques jours, Jean Pierre Bemba, vice-Premier ministre et ministre de la Défense nationale, a lancé un débat sur la nationalité du principal challenger du chef de l’Etat sortant, Moïse Katumbi. Au motif que ce dernier détiendrait, à en croire un opposant zambien, un passeport diplomatique zambien, il lui a alors demandé de dire s’il était zambien ou congolais. Ce genre de débat, qui ne brille guère par son degré d’élévation, est vraiment surréaliste étant donné que dans de nombreux pays africains, la RDC y compris, le passeport diplomatique n’établit pas et n’a aucune influence sur la nationalité de son détenteur, étant donné qu’il peut bien être octroyé à des personnes étrangères par des autorités habilitées.

Ce débat pousse à se poser, finalement, une série de questions. La première : qu’avait dit, exactement, l’opposant zambien, Mwenya Musenge ? En réalité, il n’a jamais déclaré que M. Katumbi était citoyen zambien, ce contre quoi il ne pouvait du reste protester. Bien au contraire, il protestait contre le fait que des passeports diplomatiques zambiens aient pu être octroyés massivement à des personnalités étrangères. «Si M. Katumbi est effectivement titulaire d’un passeport (diplomatique) zambien, nous nous demandons combien d’autres étrangers, comme les Chinois, possèdent un passeport zambien. Si M. Katumbi a un passeport zambien, nous exigeons un nettoyage au bureau des passeports», avait-il déclaré à nos confrères de Lusaka Times. Ce faisant, il reconnaissait bien la nationalité congolaise de Moïse Katumbi, mais se demandait juste de quel droit un étranger pouvait détenir un passeport diplomatique de la Zambie.

Deuxième question : qu’en est-il exactement de l’octroi des passeports diplomatiques ? Dans la plupart de pays du monde, le passeport diplomatique est un document de voyage essentiel des diplomates, qui est délivré à un petit nombre de fonctionnaires. Mais il s’agit également d’un document de courtoisie qui peut être octroyé par certaines autorités habilitées à toutes personnes de leur choix, nationales ou étrangères, pour des raisons particulières.

Selon Léon Séka, un doctorant en science politique à l’université Félix Houphouët-Boigny d’Abidjan-Cocody, cité par Jeune Afrique, «avoir un passeport diplomatique autre que celui de son pays n’est pas un délit». De son côté, Morissanda Kouyaté, ministre des Affaitres étrangères de la République de Guinée Conakry, est plus explicite encore. «On ne peut avoir un passeport que quand on est guinéen. Mais le président a la latitude de donner surtout des passeports diplomatiques à des personnalités qui peuvent aider au rayonnement de la Guinée ou alors la Guinée peut venir en aide à des personnalités étrangères en difficulté», expliquait-il en avril 2023 à l’Assemblée nationale de son pays.

D’ailleurs, si l’opposant zambien Musenge n’avait pas été aussi ignorant des lois de son pays, il saurait que l’alinéa b du point 2 de l’article 6 du titre III de la Loi sur les passeports de la République de Zambie de 2016 stipule que, outre les diplomates, le passeport diplomatique zambien peut être octroyé à ‘‘toute personne que le ministre (des Affaires étrangères) peut recommander’’. Il n’aurait donc pas soulevé un débat parfaitement inutile. Ensuite, seulement le passeport ordinaire atteste la qualité de citoyen zambien tel que cela est clairement indiqué au point 1 de l’article 5 du titre III de la même loi sur les passeports.

En RDC, c’est le Décret n° 09/10 du 30 mars 2009 portant règlement l’octroi des passeports nationaux en RDC qui en son article 8, reconnaît au président de la République, au Premier ministre et au ministre des Affaires étrangères, d’ordonner la délivrance d’un passeport diplomatique à toute personne de leur choix, qu’elle soit congolaise ou étrangère. C’est dans ce cadre que le chef de l’Etat Félix Tshisekedi a récemment accordé des passeports diplomatiques congolais à des célébrités étrangères comme l’acteur belge Jean Claude Van Damne, ou encore le chanteur français Dadju.

En Côte d’Ivoire, l’article 11 du décret n°2012-224 du 29 février 2012 portant attribution et modalités de délivrance des passeports diplomatiques biométriques à puces électroniques et des passeports de service biométriques à puces électroniques, reconnaît au président de la République le droit d’agir par dérogation pour octroyer un passeport diplomatique à des personnes étrangères. Et l’alinéa 2 de cet article stipule en conclusion : «le passeport diplomatique biométrique à puce électronique ne confère pas la nationalité ivoirienne».

Il est également fréquent que des pays accordent leur passeport diplomatique à des amis de leurs dirigeants, ou à des opposants d’autres pays afin de leur permettre de se déplacer. Voici quelques cas à titre d’exemple :

Nelson Mandela (ancien président d’Afrique du Sud) : passeports diplomatiques guinéen, soudanais, et un passeport ordinaire éthiopien

Myriam Makeba (chanteuse sud-africaine) : passeport diplomatique guinéen

Le passeport accordé à Nelson Mandela par l’Empire d’Ethiopie en 1962 sur ordre de l’empereur Haïlé Sélassié . Il était établi sous un faux nom : David Motsamayi. Photo : Fondation Nelson Mandela

L’icône de la lutte contre l’apartheid et président de l’Afrique du Sud de 1994 à 1999, Nelson Mandela, a bénéficié, dans le cadre de son combat et même après, de passeports diplomatiques de plusieurs pays, dont l’Ethiopie, le Soudan et la Guinée.  Au début de 1962, il quitta le pays, sans documents de voyage sud-africains, via leBotswana, pour aller assister à une conférence du Mouvement panafricain pour la liberté pour l’Afrique orientale, centrale et australe (PAFMECSA), le précurseur de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), à Addis-Abeba, en Éthiopie. Afin de faciliter ses déplacements, il s’est vu délivrer un passeport éthiopien – au nom de David Motsamayi.

Après la conférence, Mandela est arrivé à Khartoum le 19 juin 1962 et y a passé près de 10 jours complets. Dans le contexte de ce soutien total, qui comprenait une assistance politique et financière, les autorités soudanaises lui ont accordé un passeport diplomatique en guise de geste symbolique de reconnaissance et d’appréciation pour son combat. Il s’agissait du premier passeport à porter le vrai nom du combattant de la liberté qui utilisait, jusqu’alors, un passeport sous un pseudonyme. Mandela a dû attendre jusqu’en 1990, après sa libération, pour obtenir un passeport de son pays d’origine. Après sa libération, la République de Guinée lui a à son tour octroyé un passeport guinéen.

Rappelons que la chanteuse sud-africaine Myriam Makeba, qui a résidé plusieurs annéesn avait également d’un passeport diplomatique guinéen, autant que son mari américain.

Henry Konan Bédié (ancien président de la Côte d’Ivoire) : passeport diplomatique togolais

Après sa chute le 25 décembre 1999, le président ivoirien Henry Konan Bédié fut exfiltré en débandade par l’armée française vers le Togo. C’est à partir de ce pays qu’il dut se rendre en France. Mais comment faire ? Dans le cafouillage de son départ, il est parti sans ses passeports ivoiriens. Alors le gouvernement du Togo lui établit un passeport diplomatique togolais qui lui permit de voyager.

Alpha Condé (ancien président de la Guinée) : passeport diplomatique burundais

En septembre 2018, lors d’un banquet en l’honneur de Séraphine Wakana, représentante résidente du PNUD au palais présidentiel à Conakry, Alpha Condé, alors président de la Guinée, avait révélé à ses convives qu’il a été titulaire d’un passeport diplomatique burundais. «Je connais très bien votre pays. Lorsque j’ai été privé de tous mes droits en Guinée, je n’avais plus de passeport. C’est le Burundi qui m’a donné un passeport diplomatique pour me permettre de me déplacer. Donc, je connais très bien votre pays», a-t-il indiqué à la diplomate onusienne qui s’apprêtait à quitter Conakry au terme de sa mission.

Ahmed Bola Tinubu (président du Nigéria) : passeport diplomatique guinéen

Le président nigérian actuel a bénéficié lui aussi d’un passeport diplomatique guinéen, en guise de son amitié avec l’ancien président de Guinée Alpha Condé, en 2015.

Guillaume Soro (ancien Premier ministre de la Côte d’ivoire) : passeport diplomatique malien

L’ancien Premier ministre et président de l’Assemblée nationale de la Côte d’ivoire, passé à l’opposition, a quitté la France, le pays où il vivait en exil depuis plus de trois ans, pour regagner l’Afrique. Il a fait une tournée dans les pays dirigés par des juntes militaires, et hostiles à son pays, le Burkina Faso, le Mali et le Niger. Son passeport ivoirien venant à expiration bientôt, le président malien, le colonel Assimi Goïta, président du Mali, lui a octroyé un passeport diplomatique malien.

Nathalie Yamb (militante suisse et camerounaise) : passeport diplomatique ivoirien

La militante anti-impérialiste suisse Nathalie Yamb s’était installée en Côte d’ivoire en 2007, où elle travaillait pour la compte de la filiale de la société de télécommunication sud-africaine MTN. Très engagée aux côtés des dirigeants du Front populaire ivoirien (FPI), dont l’alors président de l’Assemblée nationale, Mamadou Koulibaly, elle reçoit du président Laurent Gbagbo un passeport diplomatique ivoirien en 2009. Ce passeport est annulé par Alassane Ouattara en 2019, qui a ordonné son expulsion vers la Suisse la même année.

Tout bien considéré, que la Zambie ait pu accorder un passeport diplomatique à Moïse Katumbi, alors en exil, est parfaitement normal et n’établirait en aucune façon une quelconque nationalité zambienne. Bien plus, cela ne devrait même pas provoquer le moindre débat entre personnes adultes normalement constituées et qui, plus est, instruites.

En effet, en février de cette année, un avocat de Katumbi avait écrit au même ministère zambien pour couper court aux «spéculations sur la nationalité» de Katumbi et aux «allégations absurdes» sur sa prétendue citoyenneté zambienne. «Veuillez noter qu’après vérification et analyse de l’objet en question, il n’y a aucune trace que M. Moise Katumbi soit un citoyen zambien. Il s’en suit que Moise Katumbi n’est pas un citoyen zambien», a coupé court le ministre de l’Intérieur et de la sécurité intérieure zambien, Jack Jacob Mwiimbu, dans une lettre du 11 juillet 2023 que nous publions ci-après.

Alain MUYOMBA MTWALE

Analyste politique