POLITIQUE Humiliation de Kamerhe : respecter les partenaires est un atout pour la durabilité...

Humiliation de Kamerhe : respecter les partenaires est un atout pour la durabilité du pouvoir

Dans un pays au régime hybride présentant simultanément des caractéristiques propres au régime présidentiel et au régime parlementaire comme la RDC, et qui, plus est, applique le mode de scrutin proportionnel, aucune force politique ne peut vaincre toute seule. Il faut, nécessairement, des coalitions, c’est-à-dire des appuis majeurs pour former des majorités. Joseph Kabila, le fils du Katanga au sud-est du pays, l’avait bien compris, et grâce au soutien des leaders de l’ouest Antoine Gizenga et son PALU d’une part et, de l’autre, de François Xavier Mobutu Nzanga et son UDEMO de l’autre, il avait réussi à gagner les élections cruciales de 2006, et de garder, finalement, le pouvoir plus de douze ans. Mais pour sa part, l’UDPS, après 37 ans d’opposition, semble devenue, une fois au pouvoir, une boulangerie géante où adversaires et partenaires sont copieusement roulés dans la farine. Ce mépris de partenaires, ces humiliations successives de ceux qui mouillent le maillot pour le président de la République, sont une politique à courte vue, et ne sont pas payantes à long terme. Deux cas pour l’illustrer.

A l’issue des élections législatives provinciales à Kinshasa, l’UDPS arrive en tête avec 13 députés provinciaux, talonnée de près par l’ACP du gouverneur Gentiny Ngobila Mbaka avec ses 10 élus. Loin derrière arrivent 4AC, un regroupement de ce qu’on appelle «la mosaïque UDPS» avec 6 élus et le MLC avec 5 sièges. Dans le meilleur des mondes, les trois premiers partis étant de la même famille politique auraient dû se partager les trois postes d’importance à la tête des institutions provinciales : gouverneur de province, vice-gouverneur et président de l’Assemblée provinciale. Que non : Augustin Kabuya, secrétaire général de l’UDPS, devenu en mode autoproclamée chef de l’Union sacrée de la nation, a décidé d’aligner une liste reprenant un candidat gouverneur issu de l’UDPS, Daniel Mbumba Lubaki, avec un adjoint du MLC, Eddy Iyeli Molangi. Et l’ACP de Gentiny Ngobila, deuxième force de la majorité provinciale ? Rien !

Le gouverneur sortant de Kinshasa s’est alors cru en droit de revendiquer pour son regroupement le poste de président de l’Assemblée provinciale. Pauvre de lui, il apprend que ce poste était réservé au regroupement 4AC. Il demande alors à son candidat et président du bureau provisoire, Honoré Mbokosso Amous-Kempay, de sursoir l’élection du bureau définitif de l’assemblée provinciale au mercredi 24 avril, le temps pour lui d’entrer en contact avec le président de la République et autorité morale de l’Union sacrée. Mal lui en prit : la plénière est vigoureusement convoquée par les deux adjoints de Mbokosso au bureau provisoire. Au diable si le trésor public n’avait pas encore décaissé les frais pour l’organisation de cette plénière : des députés vont contribuer de leur poche, et mettre en place un bureau d’où l’ACP est totalement exclue.

Une base réelle

Cette façon de manquer d’égards aux partenaires politiques se remarque également dans la façon dont Vital Kamerhe est traité lui aussi par ses alliés de l’UDPS. Un des rares hommes politiques disposant d’une base réelle dans le pays – aux côtés du président Félix Tshisekedi, Moïse Katumbi et Jean Pierre Bemba – Vital Kamerhe avait fait le choix de se retirer de la course à la présidence afin de soutenir Félix Tshisekedi à la présidentielle de 2018. L’accord signé entre lui et Félix Tshisekedi à Nairobi sous les auspices de l’alors président du Kenya Uhuru Kenyatta, stipulait que le président de l’UDPS ferait juste un mandat de 5 ans et se retirerait pour soutenir à son tour son colistier de l’UNC. En attendant, Fatshi promettait à son allié, s’il est élu, le poste de Premier ministre. Mais, l’absence de la majorité parlementaire poussa le CACH – UDPS et UNC – à coaliser avec le FCC de Joseph Kabila, auquel il fut attribué la primature.

Contre mauvaise fortune bon cœur, Vital Kamerhe dut se contenter de la direction de cabinet de son allié et nouveau chef de l’Etat. Mais il fut accusé de détournements, traîné devant les tribunaux, humilié devant la nation rassemblée, condamné à la prison ferme. Avant d’être blanchi deux ans plus tard. Et d’être nommé au gouvernement au ministère de l’Economie, là où il réclamait le Budget. Peu importe : lors des élections générales de 2023, par monts et par vaux, il fait le tour du pays, tenant meeting dans toutes les langues nationales pour la réélection de Félix Tshisekedi à la tête du pays.

A l’issue des législatives, les deux regroupements politiques de Vital Kamerhe, A/A-UNC et AVK, constituent la deuxième force de la majorité. L’homme se croit en droit de revendiquer ce que le président lui avait promis en 2018 : la primature. Cen réaction, c’est un torrent impétueux d’un feu infernal qui s’abat sur lui avec une rare violence ! Les proches du chef de l’Etat l’accusent d’être coupable de développer une grave ambition ! En France, les ministres de l’Intérieur Gérald Darmanin, et des Finances Bruno Le Maire affichent clairement leur ambition présidentielle pour l’après-Macron, nul n’y trouve à redire. Au Sénégal, à l’issue des élections de 2012, après que Macky Sall eut remporté la présidentielle, et nommé à la primature un économiste de son obédience, Abdoul Mbaye, il concéda la présidence de l’Assemblée nationale au chef de la deuxième force politique de sa coalition, Moustapha Niasse, président du parti AFP. Mais en RDC, pour les alliés de l’UDPS, exprimer pareille ambition revient carrément à se rendre coupable d’une dangereuse subversion qui peut vous valoir à être pendu haut et court jusqu’à ce que mort (politique) s’ensuive.

Le but de la manœuvre

Ainsi, lors de l’ouverture de la session inaugurale, dans une salle des spectacles du palais du peuple qui sert de salle des plénières à l’Assemblée nationale, respectée comme le saint des saints de la démocratie congolaise, des militants du parti présidentiel conspuent lourdement Vital Kamerhe, et le traitent de tous les noms devant l’opinion atterrée. Puis Augustin Kabuya coupa court : la primature ira à l’UDPS. M. Kamerhe accusa le coup, et se tourna vers le perchoir de l’Assemblée nationale. A l’Union sacrée de la nation, on fait alors traîner les pas, jusqu’à annoncer, ce lundi 22 qu’une primaire sera organisée pour départager les potentiels candidats à la présidence de la chambre basse du Parlement.

En lisse, Modeste Bahati, président sortant du Sénat, à la tête de la quatrième force de la majorité, mais aussi Christophe Mboso, président du bureau provisoire de l’assemblée et président de l’Assemblée nationale de la dernière législature, à la tête de la douzième force de l’USN. On cite également Christophe Lutundula, à la tête d’un petit parti qui n’a jamais eu plus de deux élus. Le but de la manœuvre n’échappe à personne : humilier Vital Kamerhe, en le faisant éliminer à la loyale, en donnant un mot d’ordre aux députés de voter, de préférence, pour le vieux Mboso, malléable à souhait.

Mais ces stratagèmes ne sont pas susceptibles d’inscrire le pouvoir dans la durée. Juste à côté de la RDC, au Congo Brazzaville, l’on se rappelle comment Pascal Lissouba avait fragilisé lui-même son pouvoir démocratiquement acquis. En effet, à l’issue des élections législatives de 1992, le président brazza-congolais avait voulu humilir ses partenaires du PCT de l’ancien président Denis Sassou Nguesso –  qui lui avaient pourtant apporté un soutien important lors du deuxième tour face à Bernard Kolelas – en refusant la présidence de l’Assemblée nationale au PCT pour l’accorder à Ange Edouard Poungui, chef de l’Union pour le progrès social et la démocratie (UPSD), un petit parti qui n’avait que deux élus.

Le renversement d’alliance avait durablement fragilisé le pouvoir de Lissouba et plongé le Congo dans la crise. Les leçons de l’histoire servent à éviter les erreurs des autres pour ne pas subir leurs conséquences. Dans un pays multipartite, si les élections – et leur corolaire, la représentativité politique des différentes formations en présence – n’ont plus aucune importance, alors on peut bien se demander en quoi la démocratie a encore un sens.

Belhar MBUYI