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Guerre du M23 : le plaidoyer pro-dialogue du tandem William Ruto – Joe Biden

Le président du Kenya, William Ruto (à gauche), reçu à la Maison blanche par le chef de l’Etat américain Joe Biden Photo : Droits tiers

Tout a l’air d’un exercice de communication bien coordonné. Le mercredi 22 mai 2024, Jeune Afrique et The Africa Report diffusent une vidéo d’un entretien avec William Ruto, au cours duquel il met à mal le gouvernement congolais. Le chef de l’Etat du Kenya y affirme, en effet, qu’au cours d’une réunion des chefs d’Etat, la question avait été posée au président congolais qui avait alors répondu que les M23 étaient bien des Congolais. Cela alors que Kinshasa surfe sur un puissant narratif communicationnel qui plante dans le subconscient de ses citoyens que le pays fait simplement face à une agression du Rwanda, laissant ainsi croire qu’il n’existe pas de problème congolais – voire de citoyens congolais – dans cette guerre.

William Ruto donne aux deux médias sa compréhension de la crise congolaise : «En tant que chefs d’État, lors d’une réunion, nous avons demandé : le M23, les membres de ce groupe sont-ils des Rwandais ou des Congolais ? Et la RDC nous a dit : ‘‘Ce sont des Congolais.’’ Fin du débat. Si ce sont des Congolais, comment est-ce que cela devient un problème du Rwanda ? Comment est-ce que cela devient un problème de Kagame ? », déclare William Ruto dans un entretien vidéo réalisé en marge de l’Africa CEO Forum 2024 qui s’est tenu les 16 et 17 mai à Kigali vidéo et publiée sur les site du magazine panafricain Jeune Afrique et de The Africa Report. Pour le président du Kenya, la crise sécuritaire dans l’est de la RDC et les tensions actuelles entre Félix Tshisekedi et Paul Kagame ne pourront se résoudre que par «une solution militaire».

Le président du Kenya poursuit : «premièrement, les soldats du Kenya faisaient partie de l’armée de l’EAC qui a été déployée dans l’est de la RDC. Dès notre arrivée, nous avons fait un travail remarquable. Nous avons réussi à pacifier des zones, et le M23 avait aussi accepté de se retirer des zones sur lesquelles il s’était mis d’accord avec le gouvernement de Kinshasa. donc le seul problème qui restait, c’était de désarmer les M23, et de cantonner ses combattants dans un camp quelque part. ensuite, le M23 nous a posé une question : comment voulez-vous qu’on dépose les armes avant qu’il n’y ait eu des négociations ? Si le gouvernement se retourne contre nous après, nous allons faire comment ? Pour nous, le M23 avait raison. donc nous avons demandé au gouvernement au gouvernement congolais de négocier avec leurs citoyens du M23, afin que nous puissions finir ce problème. En tant qu’état de l’EAC, nous pensons que le problème de l’Est de la RDC ne peut pas résolu par la force des armes».

Hasard des calendriers ?

Et d’ajouter : «Nous pensons que le défi dans l’est de la RDC ne peut être résolu par la force militaire, surtout si ceux en conflit sont disposés à engager une conversation. C’est pourquoi nous avons demandé au gouvernement de la RDC d’envisager d’utiliser les instruments disponibles dans le processus de paix de Nairobi, qui est un processus de dialogue, ou dans le processus de paix de Luanda », déclare-t-il. Mais aussi : «Je ne trouve pas de meilleur résultat qu’une citoyenneté qui a des griefs, qui a des problèmes avec son gouvernement, qui est prête à engager une discussion avec son gouvernement afin de pouvoir régler ses griefs».

Le même jour de la diffusion de cette interview, le département d’Etat américain – ministère des Affaires étrangères des Etats Unis – publie un compte rendu d’un entretien téléphonique entre le secrétaire d’Etat américain, Anthony Blinken, et le président congolais Félix Tshisekedi. «Le secrétaire et le président ont discuté de la crise dans l’est de la RDC et de la nécessité de prendre des mesures supplémentaires pour rétablir la paix et la stabilité, notamment en soutenant le processus de paix de Luanda», lit-on dans un communiqué signé par le porte-parole Mathew Miller. Hasard des calendriers ? Simple coïncidence ? Ou action concertée afin de faire prévaloir une vision commune sur la question sécuritaire dans la partie orientale du Congo ?

Dans tous les cas, un jour plus tard, le président kenyan est accueilli en grande pompe à la Maison Blanche par son homologue américain pour une visite d’Etat – plus haute forme de contact diplomatique entre deux pays, devant la visite officielle et la visite de travail –, la première d’un chef d’Etat africain depuis celle du ghanéen John Mahama Kuofor en 2008. Une occasion en or pour M. Ruto de prêcher sa doctrine sur la crise dans les Grands lacs africains au président américain, étant donné la crise sécuritaire figurait bien au menu des entretiens. Une doctrine assez proche de la rhétorique de Kigali.

Vision réductrice

Après avoir été reçu en grande pompe, y compris avec des honneurs militaires avant une rencontre, celui qui est salué par le président américain comme ‘‘un allié clé’’ sur le continent américain, a tenu une conférence de presse conjoint avec son hôte à la Maison Blanche. Au cours de ce rendez-vous avec les journalistes accrédités à la présidence américaine, William Ruto a été notamment interrogé sur la situation dans l’Est de la RDC. «Le kenya avait plus de 1000 hommes de troupes en RDC, qui ont été remplacées par des troupes de la SADC. J’ai récemment envoyé mon ministre des Affaires étrangères à Kinshasa, pour voir comment nous pouvons commencer un dialogue conformément au processus de paix de Nairobi. Parce que nous pensons qu’il n’existe pas de solution militaire à la crise en RDC, mais le dialogue est la seule solution. L’UA, l’EAC et le Kenya mon pays restent activement saisis de la situation dans l’est de la RDC, et nous remercions les Etats Unis d’Amérique pour leur soutien humanitaire».

Comment le chef de l’Etat kenyan compte-t-il organiser un dialogue alors que le gouvernement congolais jure sur tous les tons qu’il ne s’assoira jamais à la même table que ceux qu’il qualifie de ‘‘terroristes’’ et de ‘‘supplétifs’’ du Rwanda ? Cette visite d’Etat de M. Ruto va-t-elle radicalement changer la vision des Etats Unis sur la guerre qui sévit en RDC ? Ou bien, les sorties de William Ruto visaient-elles plutôt à marquer une parfaite identité de vues entre lui et les Etats Unis d’Amérique sur la question congolaise ? Ces questions demeurent posées.

Jusque-là, Kinshasa n’a pas réagi officiellement aux propos du président kenyan. Seuls quelques analystes ont donné de la voix : «Ruto utilise un raccourci et se fait avocat de Kagame», écrit Eric Kamba de l’Asbl Congo en action pour une diplomatie agissante (CADA) publiée par nos confrères de 7sur7.cd, ou encore Thierry Monsenepwo, cadre du parti politique Convention des Congolais unis et PCA de l’entreprise publique Cobil SA, qui dénonce une «vision réductrice qui ne tient pas compte de la dynamique géopolitique et des interventions étrangères documentées dans cette région» dans une tribune publiée sur le site Actu30.

Rica MITSH, depuis Nairobi