C’est un vrai scandale qui agite encore les milieux congolais de France, mais l’affaire fait également grand bruit dans les salons diplomatiques africains de la capitale française où l’on se gausse volontiers d’une démarche pour le moins ubuesque. En effet, l’ambassade de RDC en Hexagone veut organiser des manifestations pour célébrer la fête de l’indépendance. Sauf que, comme elle n’a aucun sou, elle en demande, non pas à son ministère de tutelle, mais plutôt à des entreprises françaises ! En France, le tollé est à la mesure de la flétrissure faite à l’honneur et à la dignité de tout un pays.
Tout est parti d’une série de lettres – quatre au total – datées du 12 juin 2024 et signées par la ministre résident Esther Welo Woma au nom de l’ambassadeur Emile Ngoy Kasongo, aux sociétés Air France, Perenco, Canal+ et Orange, afin de solliciter leur parrainage pour célébrer la journée du 30 juin, fête de l’indépendance de la RDC. L’objectif de ces lettres est clair : la représentation d’un état souverain demande de l’argent à des entreprises privées pour organiser les manifestations relatives à la fête nationale. Mme Welo l’écrit clairement : «au nom de l’ambassadeur de la RDC en France, Son Excellence Monsieur Emile Ngoy Kasongo, j’ai l’honneur de solliciter votre bienveillant soutien financier… ».
Le public s’en trouve estomaqué, autant que d’autres ambassadeurs africains accrédités en France en rient sous cape. «Une ambassade organise la célébration de la fête nationale de son pays avec de l’argent envoyé par sa tutelle, c’est-à-dire le ministère des Affaires étrangères, et non en mendiant auprès des entreprises privées du pays accréditaire. Ça c’est du jamais vu !», tempête un diplomate d’un pays africain. «Voilà le genre de personnes qui discréditent l’Afrique et font qu’on nous manque de respect. Dans une France plus que jamais gagnée à l’extrême-droite, comment peut-on respecter nos pays avec de telles pratiques?», tempête un autre.
Déception à son comble
Sur place à l’ambassade de RDC en France, au 32 du Cours Albert 1er, quartier des Champs Elysées, dans le très huppé 8ème arrondissement, la déception est à son comble. «Voilà pourquoi pour devenir un ambassadeur d’un pays comme la France, il faut obligatoirement être un haut fonctionnaire officiant depuis plusieurs années au sein de la diplomatie française, et avoir atteint le niveau de conseiller de première classe, ministre plénipotentiaire, etc. Avec les professionnels de la diplomatie, ça permet d’éviter de telles bourdes», se désole un diplomate de profession.
Dans les groupes de discussion WhatsApp de Congolais de France, le débat n’en finit pas. Journaliste ancien de Salongo, avant de s’implanter à Paris où il édite Ebène Magazine, Paul Bazakana, proche de l’ambassadeur Emile Ngoy, essaie de justifier l’acte de son ami. Selon lui, «le recours aux sponsors est permis», et ce, «pour éviter d’impacter sur les recettes de leur administration», explique-t-il.

Avec insultes à l’appui, il renchérit : «Il n’y a que des esprits tordus et malintentionnés qui peuvent prêter au professeur Emile Ngoy Kasongo des projets sordides de tripatouillages». Mais aussi : «il faut être quelqu’un né dans un monde ancestral pour ne pas comprendre ce que c’est le sponsoring. On y recourent pour ne pas impacter sur les recettes de l’ administration». Et enfin : «sans pour autant salir ou aliéner le sens de cette journée commémorative. Ici, en l’occurrence, la Maison Congo a recouru aux sociétés françaises qui ont investi en RDC comme d’habitude (…) Les attaques injustifiées de ces aigris et affidés s’apparente à une fuite en avant de ceux qui s’agitent au vu des réformes qui s effectuent aujourd’hui au sein de l’ambassade pour bouter dehors ceux qui prônent les antivaleurs».
Symbolique de la souveraineté d’un Etat
Mais il est vite recadré par un congolais de la diaspora, qui relève plusieurs griefs par rapport à la démarche de l’ambassade de la RDC en France. D’abord : «du point de vue forme, un ministre conseiller ne peut pas engager l’ambassade, pendant que l’ambassadeur est dans sa juridiction. Il n’y a pas lieu a délégation des pouvoirs en l’espèce. Sauf, lorsqu’il s’agit de la signature des documents de l’état civil ou de la Chancellerie. En outre, il y a un déséquilibre de grades entre l’expéditeur de la lettre et son destinataire».
Ensuite, du point de vue du fond, «il est absolument non indiqué pour une représentation diplomatique de chercher un parrainage d’une entreprise privée pour organiser la célébration de la fête de l’indépendance, qui est la symbolique de la souveraineté d’un État». Il s’explique : «en effet, un parrainage est un soutien matériel apporté à une manifestation, une personne, un produit ou une organisation en vue d’en retirer un bénéfice direct ( voir l’arrêté du 6 janvier 1989 relatif à la terminologie économique et financière, en France.). Considéré sous cet angle, un État ne peut pas se permettre d’être parrainé, ni par un autre État, encore moins par une entreprise privée pour célébrer son anniversaire de l’indépendance, car il s’agit d’une fête nationale la plus importante».
Enfin, ce congolais admet que, dans une certaine mesure, une représentation diplomatique puisse solliciter un sponsoring lorsqu’elle organise certaines manifestations de moindre ampleur nationale. «Encore que, même alors, il s’agit d’une acceptation du soft power d’une entreprise privée étrangère. Je ne vois pas l’ambassade de France à Kinshasa solliciter le parrainage de la société Transco par exemple, pour organiser la journée du 14 juillet !», conclut-il.
Si l’affaire défraie la chronique, jusque-là, le ministère des Affaires étrangères n’a pas encore réagi.
Claude UKURI, depuis Paris (correspondance)