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Kenya : le président William Ruto cède à la pression populaire et retire le projet de budget 2024

Au Kenya, le président William Ruto a cédé mercredi aux pressions de la population après plusieurs manifestations et a refusé de signer le projet de loi de finances 2024. Cette décision fait suite à plusieurs jours de manifestations qui ont connu un tournant particulièrement meurtrier le mardi 25 juin 2024 lorsque des manifestants ont pénétré dans le Parlement pour la première fois dans l’histoire du Kenya.

C’est donc un William Ruto, l’air fatigué mais grave, qui a pris la parole ce mercredi en milieu de journée depuis la State House, le palais présidentiel, devant des députés de la majorité présidentielle qui avaient voté ce projet de loi de finance. «Après l’adoption du projet de loi, le pays a été témoin d’une large expression de mécontentement à l’égard du projet de loi tel qu’il a été adopté, ce qui a malheureusement entraîné des pertes de vies humaines, la destruction de biens et la profanation des institutions constitutionnelles. J’adresse mes condoléances aux familles de ceux qui ont perdu leurs proches de cette manière malheureuse», a déclaré M. Ruto.

Avant de poursuivre : «Par conséquent, après avoir réfléchi à la discussion en cours autour du contenu du projet de loi de finances 2024,  j’ai décidé de ne pas signer ce projet de loi». La décision du président Ruto sera probablement considérée comme une tentative de désamorcer les tensions déjà croissantes à la suite des manifestations nationales de mardi. Les manifestants s’étaient engagés à poursuivre leurs manifestations jeudi.

Après avoir été adopté par les députés, le projet de loi de finances a été soumis au  bureau du chef de l’Etat pour signature. Les Kenyans, y compris les groupes industriels, ont largement critiqué le projet de budget, affirmant qu’il ajoute de nouvelles taxes punitives et en augmente d’autres sur un large éventail de biens et de services, ce qui ferait grimper le coût de la vie.

Dialogue avec la jeunesse

Les manifestations, qui ont débuté à Nairobi la semaine dernière, se sont étendues à d’autres grandes villes telles que Kisumu, Nakuru, Eldoret, Nyeri et Mombasa et ont été observées mardi dans plus de la moitié des 47 comtés du pays.

Le Dr Ruto a déclaré qu’il allait désormais entamer un dialogue avec la jeunesse du pays afin d’entrevoir ensemble les voies et moyens de baliser l’avenir. Il veut inciter les jeunes à se mettre d’accord sur leurs domaines de préoccupation prioritaires. «Je propose également qu’au cours des 14 prochains jours, une réunion multisectorielle et multipartite soit organisée en vue de tracer la voie à suivre sur les questions relatives au contenu du projet de loi ainsi que sur les questions auxiliaires soulevées ces derniers jours sur la nécessité de mesures d’austérité et de renforcement de notre lutte contre la corruption», a déclaré le Président.

Le président a également ordonné des réductions immédiates du budget de fonctionnement de la présidence et de l’ensemble du pouvoir exécutif du gouvernement. Il a également recommandé au pouvoir judiciaire, au Parlement et aux gouvernements des comtés de suivre cet exemple.

Les manifestants étaient très remontés contre une série de taxes prévues dans le projet de loi de finance, dont ils estimaient que l’impact serait désastreux sur leur vie de tous les jours. Il s’agit, particulièrement, de la taxe dite sur les hôpitaux spécialisés, aux termes de laquelle un prélèvement de 16% était prévu sur  les biens et services destinés directement et exclusivement à la construction et à l’équipement d’hôpitaux spécialisés d’une capacité minimale de 50 lits. De nombreux Kényans craignent que cette mesure n’entraîne une augmentation des coûts des soins de santé.

Détérioration des conditions macroéconomiques

Il y a ensuite l’augmentation des taxes à l’importation de 2,5 % à 3 % de la valeur de l’article, à la charge de l’importateur. Les manifestants affirment que ces changements entraîneraient une hausse des prix des produits importés. Mais, au-delà de ces revendications sur le projet de loi de finances, de nombreux kenyans manifestaient aussi pour réclamer la démission du président William Ruto, élu il y a seulement deux ans, et dont ils estiment que la gouvernance ne les a pas sortis de la désespérance et n’a pas donné des perspectives à la jeunesse.

Première économie de la zone EAC, et véritable pôle de stabilité dans la région, le Kenya est en proie à l’aggravation du gouffre financier, et à la détérioration des conditions macroéconomiques du pays, qui étouffe les entreprises privées et les investissements étrangers.

L’économie étouffe sous le poids de la hausse des taux d’intérêt, de la montée en flèche de l’inflation, de la baisse des réserves de change, de la dépréciation du shilling, de la baisse des recettes fiscales, de l’augmentation des dépenses publiques, de l’augmentation de la dette et des obligations de service de la dette dans un contexte de pénurie de dollars américains.

En effet, l’année dernière, les réserves de change étaient tombées à un minimum de 6,86 milliards de dollars, soit l’équivalent de seulement 3,84 mois de couverture des importations, avec des signes indiquant que le gouvernement pourrait avoir du mal à honorer ses obligations en matière d’importations et de dette extérieure.

Rica MITSH, depuis Nairobi