Aimé Boji et Judith Suminwa, au cours d’une réunion du gouvernement à l’époque où celle-ci était ministre du Plan |Photo : FiziNews24
C’est l’histoire d’une Première ministre qui, pour l’oral le plus important de sa carrière, s’est prise les pieds dans les faux chiffres et mauvais calculs algébriques pourtant élémentaires, au point de s’écrouler lourdement devant l’opinion publique étonnée. Assis aux premières loges sur les bancs des ministres, le ministre d’Etat et ministre du Budget, Aimé Boji Sangara, qui a fait décidément étalage d’un amateurisme d’anthologie, observe le spectacle. Si nombre de députés qui ne pigent rien ni à l’économie ni aux chiffres, applaudissent la cheffe du gouvernement, au 49 du boulevard Tshatshi, siège du bureau de la Banque mondiale en RDC, où l’on a suivi avec intérêt la prestation de Mme Judith Suminwa, on n’a pas fini de s’écarquiller les yeux devant l’ampleur des dégâts. «Un budget ne peut pas présenter autant de faussetés. Ce n’est pas une preuve de sérieux ça», nous confie un cadre de la vénérable institution financière internationale.
C’était son premier grand oral, après la présentation de son programme de gouvernement. Mais c’était le plus important, car généralement, les programmes du gouvernement ne sont que des catalogues d’intention à plus ou moins moyen terme, alors que le budget traduit en actes la capacité d’un gouvernement à mener des actions en faveur du pays. L’exercice s’est terminé dans une incroyable embrouille des chiffres qui en a décontenancé plus d’un observateur. A l’heure des comptes, la Première ministre a dû se sentir bien ridicule face à la flopée des faux chiffres et de mauvais calculs qu’elle a débités du haut de la respectable tribune de l’Assemblée nationale. La faute à l’amateurisme de son ministre du Budget incapable de produire un travail rigoureux et de qualité.
Dans un pays où l’opinion est souvent sidérée que les institutions consomment une part majoritaire du budget de l’Etat, Judith Suminwa était attendue sur la part du budget réservée aux investissements, qui sont censés fonder le développement du pays. Et c’est avec fierté qu’elle s’est lancée, sûre d’elle, face aux députés nationaux, soulignant comme premier fait saillant de son projet : «un accroissement de 18,2% des crédits alloués aux investissements par rapport à leur niveau de 2024, entraînant ainsi une amélioration de sa part dans le budget général passant de 15,1% en 2024 à 48,4%», déclare-t-elle.
Un travail bâclé
Sur les bancs de l’opposition, Christian Mwando Nsimba et les siens n’en reviennent pas. Dans l’opinion aussi, où banquiers, analystes et étudiants en économie se mordent la lèvre jusqu’au sang. En effet, n’importe quel élève de première secondaire qui maîtrise bien son cours d’algèbre, ne peut pas comprendre comment un volume d’investissements chiffré à 15,1% du budget en 2024, peut passer à un total de 48,4% en 2025 après n’avoir été majoré que de 18,2% seulement ! Il faudrait alors pour rendre l’équation possible que le budget 2025 soit drastiquement réduit par rapport au budget précédent. Or, cela n’est pas le cas : le projet de budget 2025 s’élève à 49.846,8 milliards de francs congolais, soit environ 18 milliards de dollars, ce qui correspond à une augmentation de 21,6 % par rapport à l’exercice précédent.
«En effet, cela ne tient d’aucune logique», explique un professeur de mathématiques dans une école de Matete à Kinshasa. qui renchérit : «Si dans l’année n, le budget général est de 100 francs, et que les investissements s’y élève à 15 francs, cela fait effectivement 15%. Si dans l’année n+1, on procède à une augmentation de 18% de 15 francs, cela donne 2,7 francs de plus, ce qui porte les investissements à 17,7 francs. Or, si ce nouveau chiffre doit représenter 48% du budget de l’année n+1, ce budget doit alors se situer entre 36 et 37 francs, ce qui est une baisse drastique par rapport à l’année n où il était de 100 francs. Le chiffre de 18% ne peut jamais être envisagé si le budget général a augmenté».
Alors, comment expliquer ce non-sens débité par la Première ministre ? A l’analyse, il appert que le mal est profond car elle a présenté un travail bâclé, contenant des faux chiffres issus de nombreux calculs mal faits au niveau du cabinet du ministre du Budget Aimé Boji, et non vérifié par les services de la cheffe du gouvernement. D’abord, dans le budget 2024, «les équipements et les constructions se rapportent aux investissements, principalement dans le cadre du PDL-145 Territoires et autres projets du Gouvernement central, des Provinces et Entités Territoriales Décentralisés ainsi que de la Caisse Nationale de Péréquation», soit 12.592,3 milliards de FC, soit 34,5% des dépenses du budget général, pour les équipements ; et 5.306,9 milliards de FC, soit 14,6% des dépenses du budget général, pour les Construction, réfection, réhabilitation, addition d’ouvrage et édifice, acquisition immobilière. Donc, le total de la rubrique investissements s’élevait à 17.899,2 milliards de francs, soit 44,24% du budget général, et non 15,1% comme soutenu par Judith Suminwa.
‘‘Il n’est qu’un amateur’’
Ce n’est pas tout. Ensuite, passer de 17.899,2 milliards de francs en 2024 pour cette rubrique à 21.964,7 milliards de francs en 2025, cela donne une augmentation de 22,71%, et non 18,2%. De même, et c’est le plus étonnant encore, la Première ministre se vante que la rubrique investissements, chiffrée à 21.964,7 milliards de francs représente 48,4%. Non, encore une fois, il y a mauvais calculs : 21.964,7 milliards de francs sur 49.846,8 milliards de francs, cela fait 44,06%, et non 48,4%. Donc, 44,06%, soit moins que les 44,24% du budget précédent pour la même rubrique. Par voie de conséquence, Judith Suminwa n’a pas réussi à augmenter le budget des investissements comme elle s’en est vantée.
«Mais comment le ministère du Budget a-t-il pu préparer un travail aussi bâclé ? Et comment une Première ministre a-t-elle pu énoncer autant de faux chiffres et de mauvais calculs ? Elle n’a pas des services chargés de faire le contrôle des documents que lui transmettent ses ministres ?», se désole un observateur. Pour qui «Aimé Boji n’est rien d’autre qu’un amateur qui s’est entouré d’autres amateurs». «Le ministère du Budget est un ministère technique qui nécessite un vrai technicien. Les faux chiffres devraient sauter aux yeux au premier coup d’œil d’un vrai expert des questions budgétaires», assure-t-il.
Il est vrai que la Première ministre dispose d’un cabinet qui contient en son sein tout un collège ‘‘Finances et Budget’’ dirigé par un conseiller principal, et qui comprend de nombreux conseillers et chargés d’études. Qu’autant de faussetés aient pu passer dans son discours sans être détectées et corrigées à ce niveau démontre la qualité du personnel dont s’entourent certains dirigeants congolais. Car, même toutes ces erreurs venaient effectivement du ministère du Budget, comment la Première ministre elle-même, économiste de formation, n’a pas pu les détecter ? La question demeure sans réponse.
MULOPWE Wa Ku DEMBA