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Avec les nouveaux prêts du FMI de 2,8 milliards USD, faut-il s’inquiéter du réendettement de la RDC ?

Le ministre des finances Doudou Fwamba lors de sa participation à l’Assemblée Annuelle du FMI, vendredi 25 octobre 2024Photo : Droits tiers

La République Démocratique du Congo a conclu un accord de services avec le Fonds Monétaire International (FMI). Cet accord comprend deux programmes «ambitieux», à savoir : un programme triennal de 1,75 milliard USD et un programme climatique de 1,1 milliard USD, soit au total plus de 2,8 milliards USD sur trois ans. Les discussions ont été menées sous la supervision du ministre des Finances, Doudou Fwamba. Elles ont abordé des enjeux complexes, dont la gestion des dépenses urgentes, les salaires des fonctionnaires, les recettes du contrat SICOMINES et des réformes structurelles cruciales. Si le ministre des Finances, Doudou Fwamba, salue la reconnaissance d’une gestion des finances publiques empreinte de qualité, dans le gotha politique, des voix – et pas n’importe lesquelles – s’élèvent pour dénoncer le réendettement du pays. Mais y’a-t-il, vraiment, péril en la demeure ?

Premier à dégainer : Augustin Matata Ponyo. Professeur d’économie monétaire à l’université de Kinshasa, l’homme accumule l’expérience sur son CV : il a été cadre supérieur à la banque centrale, directeur général du Bureau central de coordination – service public chargé de gérer les projets et programmes sous financement propre ou des bailleurs des fonds, bi et multilatéraux –, ministre des Finances et Premier ministre pendant près de 5 ans.

Déjà, début novembre 2024, lors du débat sur le projet de budget 2025 à l’Assemblée nationale, il sonnait le tocsin. S’adressant à la Première ministre depuis la tribune de la chambre basse du Parlement, il déclarait : «Nous sommes aujourd’hui, honorables députés, dans une situation d’endettement explosif, nocif, qui hypothèque l’avenir des citoyens de ce pays. En six ans, la dette publique a doublé de 5 milliards à près de 11 milliards USD. Madame la Première ministre, le budget veille aussi à l’avenir de ceux qui ne sont pas encore nés ou de ceux qui sont encore petits. Vous êtes mère et je sais que vous avez plus que moi cette sensation de l’avenir de ce pays».

Ensuite, dans une tribune parue le 3 décembre 2024, il renchérissait : «En 2010, cette dette était passée de 14 à 3milliards usd et était restée stable jusqu’en 2019. En clair, entre 2019 et 2024, la dette a augmenté de 7 milliards USD. La dette a presque doublé, c’est grave car cela hypothèque l’avenir de nos enfants».  

Deuxième sur le champ de tir, José Sele Yalaghuli. L’homme est un ancien économiste en charge des questions énergétiques à la Banque mondiale à Washington, ancien directeur général de la DGI et ancien ministre des Finances. Il a également été directeur de cabinet du Premier ministre Matata Ponyo. Selon M. Yalaghuli, l’augmentation de la dette, qu’il qualifie “d’injustifiée et d’injustifiable”, constitue une menace sérieuse pour la stabilité économique du pays et pour les générations futures.

Seuil de soutenabilité

Avant ces derniers prêts du FMI, entre 2021 et 2023, la dette publique congolaise est passée de 3,6 milliards USD à 9,8 milliards USD, soit une augmentation de 172 %. Pour Sele Yalaghuli, cette progression est préoccupante, surtout lorsqu’elle est mise en perspective avec l’évolution beaucoup plus maîtrisée de la dette au cours des dix années ayant suivi l’effacement dans le cadre de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE). Entre 2010 et 2020, la dette publique n’avait augmenté que de 1,1 milliard USD, souligne-t-il. «Une dette publique n’est jamais gratuite. Elle représente une ponction sur la richesse future, car ce sont les générations à venir qui seront tenues de la rembourser», a-t-il expliqué dans une tribune, insistant sur les implications à long terme pour l’économie congolaise.

Depuis leur publication le 10 avril dernier par la Direction générale de la dette publique, DGDP, les statistiques sur la dette publique de la RDC ne finissent pas de faire jaser. En effet, la dette publique de la RDC atteint désormais 10,5 milliards de dollars, alors qu’elle était de 5,6 milliards en 2019. Rappelons que la dette extérieure a été réduite de 14 à 3 milliards USD sous le régime Kabila dans le cadre de l’initiative Pays pauvre très endetté, PPTE, et maintenue à ce niveau jusqu’en 2019. Des sources de la Direction générale de la dette publique indiquent que cette importante hausse de la dette est due aux dépenses de l’administration publique centrale, supérieures aux recettes publiques, observées depuis 2019. D’où la DGDP redoute que la dette publique de la RDC dépasse les 15 milliards USD, d’ici les cinq prochaines années.

Pour autant, la dette publique congolaise doit-elle susciter tant d’inquiétudes ? A-t-elle atteint, ou dépassé – pour reprendre le terme économique consacré – le seuil de soutenabilité ?

En économie, on ne doit pas se limiter à des chiffres bruts pour tirer des conclusions. En effet, pour mesurer la dette publique, on la rapporte au produit intérieur brut (PIB), ce qui permet de comparer la dette publique à la taille de l’économie. Ainsi donc, en 1997, la dernière année de pouvoir du maréchal Mobutu, le ratio dette publique (14 milliards USD) sur PIB (6 milliards USD) était de 233,33%, ce qui est énorme. Alors qu’aujourd’hui, avec une dette publique de 14 milliards de dollars – en prenant en compte les nouveaux prêts du FMI – pour un PIB de près de 74 milliards, cela donne un ratio d’à peine 19% pour l’année 2025.

Contrairement aux commentaires entendus çà et là, ce ratio était en moyenne de 18% de 2011 à 2019. Depuis la prise de pouvoir par M. Tshisekedi, malgré l’augmentation de l’endettement, ce ratio n’a fait que baisser : 16,2% en 2020 ; 15,7% en 2021 ; 14,3 en 2022 ; 14,3 en 2023 ; et, selon les prévisions du FMI, il sera de 11,1% en 2024 selon les chiffres du dernier du FMI sur les perspectives économiques régionales consacré à l’Afrique sub-saharienne.

Honorer ses engagements

A ce propos, la RDC fait mieux que de nombreux pays africains, de géants économiques aux réputés mieux gérés : 73,9% en Afrique du Sud ; 84,5% en Angola ; 86,1% au Ghana ; 73,3% au Kenya ; 62,1% au Rwanda ; 57,1% en Côte d’Ivoire ; 46,3% en Tanzanie. Ainsi comparée à celle des autres pays, la dette publique de la RDC ne représente quasiment pas grand-chose.

Autre point d’importance : la dette publique congolaise est-elle soutenable ? La soutenabilité des finances publiques d’un Etat renvoie à sa capacité à honorer ses engagements financiers à terme. Elle dépend essentiellement de la trajectoire à long terme de la dette publique, elle-même liée à l’évolution des taux d’intérêt et du taux de croissance de l’économie concernée. Or, d’une part, selon le site du ministère des Finances consacré aux données de l’économie congolaise, la grande part des prêts multilatéraux à très long terme maintient le coût global de la dette publique congolaise à un niveau relativement bas, malgré le lancement du marché des titres publics. En effet, à fin décembre 2021, le taux d’intérêt moyen du portefeuille de la dette publique est de 1,00%. De l’autre, la RDC affiche des taux de croissance robuste, de loin supérieur à ce taux d’intérêt, qui ont frôlé parfois les 10 % : 8,9% en 2022 ; 7,8% en 2023 ; 4,7% attendus cette année.

Conséquence : en 2022, la RDC a obtenu une notation de BBB de la part de l’Agence Bloomfield, notation accordée aux émetteurs que l’on qualifie d’Investment grade, de bonne qualité car correspondant à un niveau de risque faible. En juin 2023, la même agence a affirmé la notation de BBB de la RDC et rehaussé la perspective à ‘‘positive’’.

Prudence et efficacité

Il est vrai que, malgré les améliorations récentes, la solvabilité de la RDC reste limitée par son très faible PIB par habitant – 714 USD en 2024 selon le site de référence Statisca.com –, sa faible compétitivité, ses institutions encore faibles et la détérioration du risque politique, ainsi que sa capacité de financement intérieure très limitée et sa dépendance à l’égard des financements concessionnels extérieurs. Cependant, il faut insister sur le fait que la décision de relever les notes des émetteurs à B3 reconnaît le renforcement des perspectives économiques et budgétaires du pays favorisé par les améliorations institutionnelles soutenues par le programme du FMI qui a débuté en juillet 2021. La position extérieure du pays continue également de se renforcer, comme en témoigne l’accumulation de réserves de change officielles.

Dernière question : quelque faible qu’il soit, mais à quoi a servi ce récent endettement du pays ? D’abord, à d’importantes mesures à impact social majeur : la gratuité de l’enseignement, et la gratuité de la maternité en cours d’implémentation. Ensuite, à certaines infrastructures contenues dans le programme dit de 145 territoires.

La dette publique congolaise ne devrait donc pas soulever des inquiétudes outre-mesure. Bien au contraire, il faudrait plutôt saluer la prudence et l’efficacité avec lesquelles Félix Tshisekedi et ses équipes économiques ont géré et continuent de gérer l’endettement du pays, veillant à ne pas le replonger dans les travers d’une dette paralysante pour l’économie et le social. Nouveau ministre des Finances, Doudou Fwamba, qui donne de plus en plus les preuves de sa capacité à maintenir un cadre macroéconomique assaini, veille au grain.

Belhar MBUYI