L’ancien ministre de la Justice Constant Mutamba, sa prédécesseure Rose Mutombo Kiese, le ministre des Infrastructures Alexis Gisaro et l’ancien IGF Jules Alingete|Photo : Montage Finance-cd.com
Le procès de l’affaire Frivao prend un tournant décisif, à mesure que les débats s’enfoncent dans les zones d’ombre de la gestion des réparations ougandaises. A court d’arguments, Mutamba tente désespérément de jouer le dilatoire, tandis que les débats révèlent que deux décisions-clés prises par l’Inspecteur général des finances ont ouvert la voie à un détournement structuré de fonds publics. Face à l’ampleur de ce montage, la justice congolaise est confrontée à une alternative : protéger l’architecture d’un État prédateur, ou rétablir la primauté de la loi.
Il n’y aura pas de dilatoire pour Mutamba
La Cour de cassation a refusé, ce mercredi 30 juillet 2025, de suspendre l’instruction dans le procès de Constant Mutamba, ancien ministre de la Justice, poursuivi pour sa gestion controversée des fonds Frivao. Les avocats de la défense, qui avaient sollicité une surséance au motif de deux requêtes introduites à la Cour constitutionnelle, ont vu leur demande rejetée. Une nouvelle tentative de procédure dilatoire qui a fait flop.
Les recours constitutionnels portent sur deux axes : la première requête conteste la légalité des résolutions ayant autorisé l’ouverture de poursuites judiciaires contre Mutamba alors qu’il était encore en fonction. La seconde vise à remettre en cause l’arrêt “avant dire droit” du 23 juillet, par lequel la Cour de cassation avait écarté les exceptions de procédure soulevées par la défense.
S’appuyant sur l’article 162 de la Constitution, la défense a tenté de bloquer l’avancement du procès, dénonçant une instruction entachée d’irrégularités. Mais le ministère public a balayé cet argument, estimant que les requêtes introduites “par voie d’action” n’ont pas d’effet suspensif et constituent une manœuvre dilatoire destinée à retarder l’examen du fond.
Constant Mutamba renverse la logique accusatoire en demandant la comparution d’Alingete, Mutombo et Gisaro
Sur le fond justement, les débats se sont recentrés sur la lettre de Jules Alingete, inspecteur général des finances à l’époque des faits, dans laquelle il définissait la répartition des fonds Frivao. Un juge a interrogé Mutamba sur la nature juridique de cette lettre, mais l’ancien ministre a éludé la question, se déclarant souffrant.
Fait étonnant : alors que l’opinion publique s’attendait à voir le ministère public convoquer Jules Alingete pour s’expliquer sur son rôle central dans la gestion des fonds Frivao, c’est en réalité Constant Mutamba lui-même qui en a demandé la comparution. Il souhaite également l’audition de l’ancienne ministre de la Justice Rose Mutombo et du ministre des Infrastructures Alexis Gisaro.
L’affaire repose essentiellement sur deux décisions controversées prises par Jules Alingete. Premièrement, c’est lui qui a institué une rubrique illégale de “frais de gestion” correspondant à 5% des fonds versés par l’Ouganda, soit 9,7 millions USD, alloués au cabinet du ministre de la Justice, en contradiction avec une décision de la Cour internationale de justice et en violation du décret 19/20 du Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba. Deuxièmement, il soustrait de la gestion du Frivao environ 34 millions USD destinés à la réparation des dommages environnementaux, en les plaçant sous la gestion exclusive du ministère de la Justice, hors du circuit du Trésor public. Ces fonds ‘‘flottants’’ n’attendaient qu’un mécanisme de détournement soit mis en place pour les souffler. L’occasion en a été donc la construction présumée fictive d’une prison confiée à une société écran dirigée par Willy Musheni, proche collaborateur d’Alingete, aujourd’hui en cavale.
Justice en sursis : quand Alingete réécrit la loi pour faciliter les détournements
La comparution de Jules Alingete s’avère cruciale pour établir la vérité dans l’affaire des fonds Frivao, tant son rôle apparaît central dans le déclenchement du processus ayant conduit au détournement présumé. C’est en effet lui, en sa qualité d’inspecteur général des finances, qui a pris l’initiative de répartir lesdits fonds, créant de nouvelles rubriques budgétaires en dehors de tout cadre légal. Sa lettre, qui sert de fondement à toute la chaîne des décisions incriminées, mérite donc d’être éclairée : sur quelle base juridique s’est-il appuyé ? Qui lui a donné mandat ? Avait-il compétence pour redistribuer ainsi des fonds publics ? Répondre à ces questions est essentiel pour situer les responsabilités, comprendre les mécanismes du détournement allégué et permettre à la justice de trancher en toute équité.
Dans le but de discréditer les arguments de la défense, le ministère public a convoqué à comparaître à la prochaine audience le gestionnaire de l’immeuble CTC à Kinshasa/Gombe. Objectif : démontrer que Zion Construction, la société bénéficiaire du marché litigieux, ne dispose d’aucun siège réel, contrairement à ce qu’affirme la défense.
En rejetant les exceptions de la défense, la Cour de cassation envoie un signal de fermeté.
Le montage juridique et opérationnel évoque une prédation systémique, non pas un simple abus isolé. L’opinion attend davantage : ne pas s’arrêter au bouc émissaire, mais remonter toute la chaîne de responsabilité. Que toute la lumière soit faite sur cette affaire, et que tous les acteurs impliqués, sans distinction de statut ou de fonction, soient appelés à répondre de leurs actes. Un procès-test pour l’indépendance de la justice et la lutte contre l’impunité en République démocratique du Congo.
Tiré de FDA