Le Cameroun et la Côte d’Ivoire ont récemment tenu leurs élections présidentielles. Si le scrutin camerounais s’est déroulé bien avant celui de la Côte d’Ivoire, la proclamation quasi simultanée des résultats a suscité des comparaisons entre les deux régimes. Beaucoup d’observateurs africains ont alors eu tendance à placer Yaoundé et Abidjan dans le même panier, assimilant leurs dirigeants à deux visages d’un même pouvoir conservateur.Pourtant, une analyse sérieuse montre que le président Alassane Ouattara n’a rien de comparable à Paul Biya — ni dans la conception du système institutionnel, ni dans la pratique de la gouvernance, encore moins dans les résultats obtenus sur le plan économique et social.
Alors que certains chefs d’État africains s’accrochent au pouvoir en modifiant les constitutions pour prolonger leur règne, d’autres ont tenté de tracer une voie plus républicaine. C’est tout le contraste qu’illustre la comparaison entre Paul Biya, président du Cameroun depuis plus de quatre décennies, et Alassane Ouattara, dirigeant de la Côte d’Ivoire depuis 2011 de la part de certains analystes qui brillent par des raccourcis.
Paul Biya, la présidence sans fin
Arrivé à la tête du pays en 1981, Paul Biya a été élu et réélu plusieurs fois sous le régime du parti unique. C’est au début de la décennie 90 qu’il se convertit, comme nombre de ses pairs, au pluralisme politique. Elu en1997, réélu en 2004, Paul Biya ne pouvait, en principe, plus se représenter à la fin de ce mandat, la Constitution camerounaise de 1996 limitant le nombre de mandats présidentiels à deux. Mais en 2008, le chef de l’État engagea une révision constitutionnelle controversée, soutenant qu’il serait « antidémocratique » de restreindre le choix du peuple.
Cette révision accordait également au président une immunité judiciaire à vie pour les actes posés durant son mandat.
Depuis, Paul Biya a été réélu à plusieurs reprises, la dernière en date étant l’élection présidentielle d’octobre 2025, au terme de laquelle il a entamé un huitième mandat. Ce scrutin, entaché d’accusations de fraudes, a suscité une nouvelle vague de manifestations dans le pays.
Alassane Ouattara, la réforme constitutionnelle au service de la stabilité
De son côté, Alassane Ouattara a entrepris en 2016 une réforme constitutionnelle majeure en Côte d’Ivoire. La nouvelle Constitution, promise pendant la campagne électorale dans le programme du candidat du RHDP et approuvée par référendum, visait notamment à tourner la page de la crise identitaire liée à la notion d’« ivoirité » et à moderniser les institutions.
Cette refonte a introduit un poste de vice-président, supprimé la limite d’âge pour la candidature présidentielle et, surtout, marqué le début d’une nouvelle République, remettant à zéro le compteur des mandats.
Mais, contrairement à Paul Biya, Ouattara ne s’est pas engouffré immédiatement dans cette brèche. En mars 2020, il annonçait qu’il ne briguerait pas un troisième mandat, préférant « transférer le pouvoir à une nouvelle génération ».
Le président désigna alors son Premier ministre Amadou Gon Coulibaly comme candidat du Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP) pour la présidentielle de 2020. Ce choix symbolisait la continuité et la stabilité au sein du parti au pouvoir.
Mais le décès brutal de Gon Coulibaly, survenu le 8 juillet 2020 en plein Conseil des ministres, bouleversa l’équilibre politique. Face à cette tragédie, Ouattara décida de se représenter à l’élection présidentielle, qu’il remporta largement en octobre 2020.
Contrairement au Cameroun, cette réélection constituait le second et dernier mandat de la Troisième République ivoirienne, conformément à la nouvelle Constitution. Ouattara, en s’appuyant sur des institutions réformées et une économie en croissance, a cherché à inscrire son action dans une logique de transition maîtrisée, non de confiscation du pouvoir.
Deux modèles économiques en miroir
Sur le plan de la gouvernance économique, la comparaison entre la Côte d’Ivoire et le Cameroun est tout aussi révélatrice.
Les deux pays, grandes puissances agricoles et moteurs respectifs de leurs zones économiques — l’UEMOA pour la Côte d’Ivoire et la CEMAC pour le Cameroun — présentent des structures économiques comparables.
Pourtant, entre 2010 et 2023, période correspondant à la présidence de Ouattara, l’écart de performance s’est considérablement creusé. En 2010, le PIB ivoirien s’élevait à 34,94 milliards USD, contre 27,51 milliards USD pour le Cameroun, soit une différence de 7,43 milliards. Treize ans plus tard, en 2023, la Côte d’Ivoire affichait 78,79 milliards USD de PIB, contre 47,95 milliards USD pour le Cameroun — un écart de plus de 30 milliards de dollars.
Selon Jeune Afrique, le pouvoir d’achat moyen d’un Ivoirien est aujourd’hui supérieur de 40 % à celui d’un Camerounais. Une différence qui reflète non seulement la vitalité économique ivoirienne, mais aussi la meilleure gouvernance et la stabilité institutionnelle qui ont accompagné la présidence d’Alassane Ouattara.
En définitive, si Paul Biya symbolise la longévité au pouvoir et la résistance au changement démocratique, Alassane Ouattara incarne, malgré les controverses, une transition plus encadrée, fondée sur la réforme, la croissance et la modernisation de l’État.
Deux présidents, deux époques, deux trajectoires — mais une différence fondamentale : en Côte d’Ivoire, la République survivra à l’homme, là où, au Cameroun, l’homme semble avoir avalé la République.
Belhar MBUYI, journaliste congolais, auteur de ‘‘Qui a (rééllement) remporté la présidentielle ivoirienne de 2010 ? Vérité des urnes et de jure’’, Ed. Jets d’Encre, Paris, 2018.







