C’est un audio qui détonne sur les réseaux sociaux. On y entend un échange entre Julie Ngungwa Mwayuma, gouverneure UDPS déchue le lundi 8 mai dernier par l’assemblée provinciale du Tanganyika, et une députée de cette institution parlementaire, Mme Abiba Binti Masudi, élue de Kalemie. Tout commence pourtant dans le calme lorsque Julie Ngungwa appelle. Mais l’échange vire vite à un pugilat langagier où nulle des deux interlocutrices ne fait de quartier à l’autre. Et ce sont les méandres nauséabonds de la gouvernance de la province qui ressortent à l’air libre, avant que tout dérive finalement sur d’insoutenables attaques tribales.
La gouverneure du Tanganyika, Julie Ngungwa Mwayuma, a été déchue de ses fonctions par une motion de déchéance votée par quatorze députés sur dix-huit présents, lors d’une séance plénière lundi 8 mai 2023, dirigée par le président de cet organe délibérant, Vincent Kibombo Kakudji. Il est reproché à la gouverneure Julie Ngungwa plusieurs griefs contenus dans la question orale lui adressée par le député Dieudonné Kakudy Ngoy avec débat, notamment la malversation financière.
‘‘J’ai payé vos dettes illégales’’
Dans un audio devenu viral sur les réseaux sociaux, la cheffe déchue de l’exécutif du Tanganyika, se crêpe le chignon avec une parlementaire de sa province. «Tu vois, je vais revenir, mais je voulais d’abord prendre le temps pour mieux te connaître. Je suis très intelligente, tu vois ? J’ai ton dossier ici, mais vous avez été pressés de me déchoir en violant votre propre règlement d’ordre intérieur. Moi je prie mon Dieu, le vrai Dieu qui m’a mis là au Tanganyika», lance la gouv’ déchue, avec beaucoup d’émotions dans la voix.
Avant de dénoncer «cette petite fille qui venait mendier chez moi, demandant chaque fois de l’argent, tantôt parce qu’elle est malade pour se faire soigner en France, tantôt pour autre chose». Et de poursuivre : «vous me demandez l’argent, vous voulez m’asphyxier pour que la population dise que c’est moi la responsable de l’état de notre province ? j’ai payé vos dettes qui sont illégales. J’ai dit au vice-Premier ministre et ministre de l’Intérieur que vous aviez des dettes qui datent depuis l’époque de Zoé (Kabila). Ils me demandent de payer des dettes qui sont illégales avant d’adopter le budget, je l’ai fait. Le président (de l’assemblée provinciale) est venu chez moi et m’a demandé 100.000 dollars. Vous voulez que les trouve où ?»
Mais aussi : «depuis que j’ai pris le pouvoir, je n’ai jamais reçu un seul financement du gouvernement central. J’ai trouvé les recettes provinciales à 150.000 dollars par mois, je les ai montées à 500.000. Je me bats seule, et mon bilan est positif. Vous voulez m’empêcher de poser des actes pour la province. Mais je vous assure que tout ce que j’ai sur le cœur va sortir».
‘‘L’UDPS n’a aucun député ici’’
Réponse douce de Abiba Binti Masudi : «arrêtes de tout déballer au téléphone, attends quand on va se voir, on n’en parlera». Réaction de la gouv’ déchue : «je suis gouverneur de l’UDPS, parti au pouvoir. J’ai l’argent, je vais serai rétablie dans mon poste, je vais revenir». Réplique immédiate de la députée : «Excellence, l’UDPS n’a aucun député ici. Tu dois avoir de bonnes relations avec les députés, sinon ils vont te renvoyer chez toi à Kinshasa. Nous allons te faire voir de quoi les enfants de Kalemie sont capables». Riposte de Julie Ngungwa : «cet argent que vous aimez tant, c’est ce que je vais amener». Réaction de Abiba Binti Masudi : «ce n’est pas ton argent, c’est l’argent de la province. Si on te réhabilite comme gouverneure, nous allons t’humilier plus qu’avant». La gouv’ déchue qui n’en démord pas : «je vais revenir la tête haute !» Et la députée, décidément folle de rage : «si tu es une femme, reviens alors ! Tu apprendras que Kalemie à des enfants impolis !» Enfin, c’est une incroyable dérive tribale qui s’en suit, avec des propos méprisants pour les communautés d’origine des deux dames : les Bahemba et les Bawolowolo.
Bref, c’est la délinquance politique qui caractérise bien souvent le palier provincial des institutions politiques congolaises. Basée sur le système parlementaire, l’élection des gouverneurs au second degré, par l’intermédiaire des députés provinciaux, pose souvent problème. L’esprit du modèle veut que, comme dans tous les pays appliquant ce système – la Grande Bretagne, l’Allemagne, la Belgique, l’Afrique du Sud, l’Italie etc – c’est le parti, ou la coalition majoritaire sortie des urnes, qui dirige la province. Déjà, avec le mode de scrutin proportionnel intégral, la formation des majorités n’est pas toujours choses aisée.
Ensuite, le pouvoir de Joseph Kabila, encouragé par des politiciens sans scrupules, en vint à déployer des moyens peu orthodoxes pour prendre le contrôle de toutes les provinces, y compris celles où, comme le Kasaï occidental, l’Equateur, Kinshasa et le Bas Congo, l’opposition était largement majoritaire à l’issue des législatives provinciales de 2007, en débauchant à coups d’argent des députés du camp adverse. Depuis lors, les assemblées provinciales sont devenues le royaume du n’importe quoi où la moindre élection se traite à coup d’espèces sonnantes et trébuchantes, et les élections des gouverneurs et des sénateurs, une loterie que ne remportent que ceux qui auront su payer rubis sur l’ongle.
Comme au bon vieux temps de Kabila
Avec l’arrivée au pouvoir de Félix Tshisekedi, les Congolais étaient en droit d’espérer un renouveau démocratique dans la refonte du mode de scrutin pour les élections provinciales, afin de respecter le choix émis par le peuple. Le 13 décembre 2021, le chef de l’Etat tenait un discours plein d’espoirs. «Je dois malheureusement mentionner que l’année 2021 a fondamentalement été caractérisée par l’instabilité des Assemblées et gouvernements provinciaux. En effet, les conflits entre ces institutions provinciales se sont exacerbés au cours de cette année, au point d’hypothéquer foncièrement le développement des provinces concernées. Il y a lieu de noter que 14 provinces sur 26 ont connu la destitution de leurs gouverneurs par les Assemblées provinciales», déclarait Félix Tshisekedi devant le congrès. A la suite de ce constat, le Président de la République lançait un appel aux élites politiques et, par-delà, à tous les Congolais pour une réflexion générale afin de trouver un meilleur système susceptible de stabiliser le pouvoir provincial tout en respectant la justice et les principes démocratiques.
Depuis lors, deux propositions ont été élaborées et présentées à l’Assemblée nationale. La première, du journaliste Belhar Mbuyi, directeur du site d’informations économiques Finance-cd.com, propose le mode de scrutin proportionnel avec prime majoritaire, et présente sa proposition avec des exemples pratiques. Le journaliste explique que sa proposition a un quadriple mérite : «elle permet forcément au parti dominant au niveau de chaque province de diriger l’entité administrative avec du même coup un gouverneur fort jouissant d’une épaisseur de légitimité personnelle indéniable et stable qui le met à l’abri de manipulations de la part du pouvoir central, et disposant de la majorité au sein de l’assemblée; elle permet de conformer le vote des députés provinciaux à celui émis par le peuple dans les urnes; elle ouvre la voie à tout le monde, même issus d’ethnies minoritaires, de pouvoir accéder aussi à la fonction de gouverneur à partir du moment où ils auront été désignés tête de liste du parti dominant; et elle permet d’éviter la corruption qui entoure souvent l’élection des gouverneurs, ainsi que les pressions qu’exercent certains leaders nationaux sur ceux-ci».
La deuxième est élaborée par le G13, un groupe des députés nationaux rassemblant des élus de l’opposition et de la majorité. Elle propose que, de un, «les députés provinciaux indiquent la liste des candidats gouverneurs pour laquelle comptent leurs voix à l’assemblée provinciale». Et de deux : «à l’issue des élections, la liste du candidat gouverneur qui a recueilli la majorité des sièges est proclamée élue».
Les deux propositions ont été rejetées par la majorité Union sacrée de l’Assemblée nationale qui a opté pour le statu quo. Ainsi, à son tour, l’UDPS s’est mise aussi à faire élire ses candidats comme gouverneurs dans des provinces comme le Maniema et le Tanganyika, où elle ne dispose d’aucun député provincial, tout simplement en mouillant copieusement la barbe aux élus provinciaux de tous bords devenus des prébendiers prêts à tout pour se remplir la gibecière. Comme au bon vieux temps de Joseph Kabila. Résultats des courses : les assemblées provinciales sont et demeurent des foires d’empoigne ou des larrons survoltés s’étripent vigoureusement pour sauvegarder leurs intérêts politiciens.
Aristote KAJIBWAMI