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Coup de tonnerre au procès de Paris : Charles Onana dit qu’il n’a jamais nié le génocide des Tutsi du Rwanda

Ce lundi 7 octobre 2024 a débuté le procès du polémiste franco-camerounais Charles Onana et des éditions du Toucan. Ce procès fait suite à une plainte pour contestation de crime contre l’humanité déposée par plusieurs associations en France, dont la Ligue de défense des droits de l’homme (LDH), la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) et l’association Survie France. D’autres associations – la Ligue Internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA), le Collectif des parties civiles pour le Rwanda, l’association des rescapés du génocide des Tutsi Ibuka/France, et la Communauté rwandaise de France – se sont portées parties civiles.

C’est un coup de tonnerre qui a retentit dans le ciel de Paris lors de la première journée de ce procès. En effet, l’auteur franco-camerounais Charles Onana s’est défendu lundi devant le tribunal correctionnel de la capitale française d’avoir nié le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, affirmant même que cet événement est un “fait incontestable”. «Je ne nie pas du tout le génocide et je ne le ferai jamais», a déclaré l’accusé à la barre, devant un public abasourdi. Il a ajouté qu’il considère «le génocide contre les Tutsi comme étant un fait incontestable», déplorant qu’«on me prête des intentions qui ne sont pas les miennes».

Pourtant, dans un livre paru en octobre 2019 et intitulé “Rwanda, la vérité sur l’opération Turquoise. Quand les archives parlent”, Charles Onana écrit de sa plume bien trempée dans le vitriolà la page 198 : «La thèse conspirationniste d’un régime hutu ayant planifié un “génocide” au Rwanda constitue l’une des plus grandes escroqueries du XXe siècle». Il y affirme également, à la page 34, que «le conflit et les massacres du Rwanda n’ont rien à voir avec le génocide des Juifs». Il renchérit à la page 460 : «Continuer à pérorer sur un hypothétique “plan de génocide” des Hutus ou une pseudo-opération de sauvetage des Tutsis par le FPR est une escroquerie, une imposture et une falsification de l’histoire.

Procès historique

Devant le tribunal, M. Onana a soutenu avoir simplement réalisé un “travail de politologue”, expliquant faire la différence «entre les civils tutsi qui ont été victimes d’un génocide et des rebelles qui mènent une action violente et qui ont conquis le pouvoir par la force des armes», en référence au Front patriotique rwandais (FPR, parti au pouvoir à Kigali). Et pour justifier la qualification d'”escroquerie” à propos de la “planification” du génocide, pourtant reconnue par l’ONU et plusieurs juridictions en France et à l’étranger, M. Onana affirme qu’elle renvoie au FPR, «qui le met en avant dès le mois d’avril 94″ sans pour autant “en apporter la preuve».

On croirait rêver, surtout de la part d’un homme qui se qualifie lui-même de “spécialiste de la région des grands lacs”, région d’Afrique à laquelle il a consacré plus d’une dizaine d’ouvrages. Comment peut-il ignorer que le terme de génocide a été utilisé par la presse, notamment par le journal Libération dès le 11 avril dans un reportage du  journaliste Jean-Philippe Cetti (“Kigali livré à la fureur des tueurs Hutus“) ; par l’ONG OXFAM, par le général canadien et commandant des forces de l’ONU au Rwanda qui l’utilise dans ses rapports au Conseil de sécurité à partir du 24 avril 1994 ; et même par le pape Jean-Paul II lors de l’audience générale du 27 avril 1994 en appelant les fidèles à une prière fervente pour le Rwanda et en invitant «ceux qui détiennent les responsabilités à une action généreuse et efficace pour que cesse ce génocide». Il sera également utilisé par le SG de l’ONU de l’époque, M. Boutros Boutros-Ghali lors d’un entretien télévisé à la télévision américaine le 4 mai. Même la France, pourtant soutien du gouvernement génocidaire, commence à l’utiliser mi-mai 1994. Ainsi, Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères français, l’emploi le 15 mai 1994, à l’issue de la réunion du Conseil des ministres de l’Union européenne à Bruxelles, puis, deux jours plus tard à l’Assemblée nationale française. La réalité du génocide était patente pour tout le monde dès le départ, et pas que pour le FPR.

«Nous sommes face à un négationniste assumé qui ne peut se réfugier derrière aucun prétexte», a déclaré à l’AFP avant l’audience Me Sabrina Goldman, avocate de la Licra, également partie civile. «Pour qu’il y ait un génocide, il faut un plan concerté, ce qu’il récuse», a-t-elle dit. De son côté, l’association Survie salue ce procès comme étant “historique”. En effet, «il n’existe pas encore de jurisprudence à proprement parler en lien avec le Rwanda» sur les questions de négationnisme, a affirmé à l’AFP Camille Lesaffre, chargée de campagne de l’association Survie. Avant d’ajouter : «Cela va permettre de préciser les limites légales des propos que l’on peut tenir sur ce crime contre l’humanité».

Incapable d’assumer ses écrits

De nombreux observateurs ont été ahuris de voir Charles Onana affirmer aujourd’hui qu’il n’a jamais nié le génocide des Tutsi du Rwanda. Comment, en effet, l’homme que de nombreux congolais considèrent comme leur héros à cause de la haine anti-Tutsi qu’il propage avec hargne et virulence à longueur des colonnes de ses livres, manque de courage pour assumer ses propres écrits ? Comment cet homme, 1m40 de taille et grande gueule de frondeur, en arrive à ce point à rentrer aussi pitoyablement dans ses petits souliers en se dédisant de la sorte ? «Icône du négationnisme du génocide des Tutsi, héraut de la haine anti-Tutsi, c’est en fait le Robert Faurisson camerounais, en moins brillant. Le voilà qui est incapable d’assumer ses écrits», explique un observateur.

Et pourtant M. Onana est, non seulement coutumier du fait, mais il se signale également dans ses écrits et ses propos, par une haine virulente contre la communauté Tutsi. Quelques rappels : lors d’un colloque organisé au sénat français en 2002 par ceux que le journaliste et historien français Jean François Dupaquier avait qualifié de “cluster de racistes et négationnistes du génocide des Tutsi du Rwanda”, Charles Onana avait alors déclaré, s’adressant aux Hutu : «Vous devez accepter d’avoir tué les Tutsi à cause de leur arrogance, de l’humiliation et frustration de plusieurs siècles. […] Dites à Kagame qu’il devra avoir plus de modestie. Nous avons engagé le combat pour la vérité, rien ne pourra plus nous arrêter». En octobre 2019 sur la chaîne LCI, il avait récidivé : «Entre 1990 et 1994, il n’y a pas eu de génocide contre les Tutsi».

Dans un autre de ses livres, intitulé “Ces tueurs tutsi au cœur de la tragédie congolaise”, Onana se gausse volontiers du mot «génocide» : «Cette formulation renvoie à une manipulation de la réalité et résulte d’une des opérations de propagande les plus abouties de la fin du XXe siècle concernant les conflits ravageant le continent africain. C’est un chef-d’œuvre de désinformation, une intoxication parfaite». Il ajoute qu’il s’agit d’une «désinformation» dont il fait porter la responsabilité aux «organisations internationales des droits de l’Homme […] victimes ou complices de la manipulation médiatique sur le “génocide rwandais”». 

Des soutiens évacués de la salle

Entendre le même Onana dire aujourd’hui qu’il n’a jamais remis en cause l’existence du génocide des Tutsi, en a franchement assommé nombreux parmi ceux qui ont assisté à l’audience de ce lundi, malgré que la salle d’audience était composée en grande partie des congolais public acquis à la cause de M. Onana et pour qui le patriotisme doit se conjuguer avec la haine des Tutsi. La Présidente du tribunal a d’ailleurs été contrainte de faire évacuer deux rangs de la salle composés des soutiens de M. Onana qui s’imaginaient qu’en faisant du bruit ils pouvaient impressionner un tribunal français.

En attendant, les audiences vont continuer tout au long de la semaine, et les plaidoiries interviendront ce vendredi 11 octobre 2024. Charles Onana a cité de nombreux témoins à décharge – 27 au total – parmi lesquels de nombreux anciens dirigeants français proches du gouvernement génocidaire rwandais comme la,cien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine ; le général Christian Quesnot, chef d’état-major particulier de l’Elysée sous François Mitterrand ; le général Jean-Claude Lafourcade, commandant de l’Opération Turquoise (organisé par la France sous mandat de l’ONU) ; le général Didier Tauzin, officier ayant participé à l’Opération Turquoise ; mais aussi des personnalités comme l’ancienne procureur du Tribunal pénal international sur le Rwanda, l’italienne Carla Del Ponte ; ou encore le général Augustin Ndindiliyimana, ancien chef d’état-major de la gendarmerie des Forces Armées Rwandaises condamné en mai 2011 pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre ; ainsi que l’avocat et professeur de droit congolais Jean Paul Segihobe.

Personne ne sait comment ces personnes pourront témoigner en faveur de Charles Onana sur les préventions de négation d’un génocide. En France, depuis janvier 2017, le fait de nier, banaliser ou contester le génocide contre les Tutsi et les Hutu modérés, est passible de poursuites pouvant conduire à un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.

Rica MITSH