Le projet de budget pour l’année 2025, a été déclaré recevable par l’Assemblée nationale, et envoyé à la commission économie et finance de la chambre basse. Présenté en équilibre tant en recettes qu’en dépenses, il s’élève à 49.846,8 milliards de francs congolais, soit environ 18 milliards de dollars, ce qui correspond à une augmentation de 21,6 % par rapport à l’exercice précédent. Lors de la présentation de l’économie de ce projet de loi de finance, la Première ministre Judith Suminwa a mis en évidence plusieurs points fondamentaux qui la caractérise : notamment une hausse de 18,2 % des crédits alloués aux investissements, qui passent de 15,1 % du budget général en 2024 à 48,4 % en 2025. Elle a également insisté sur l’augmentation de 25,2 % des fonds destinés à la sécurité et une progression de 16,4 % pour les secteurs de l’agriculture, de la pêche et de l’élevage. A l’heure de l’analyse, rien n’augure des lendemains qui chantent.
Un fait anodin : dans le cadrage macroéconomique du budget, le gouvernement se réfère aux perspectives économiques mondiales du FMI d’avril 2024, alors que, pour un projet présenté le 16 septembre 2024, il aurait fallu se référer à celles de juillet, plus proches et, donc, plus conformes à la réalité présente. Certes que les différences ne sont pas importantes – le taux de croissance attendu dans les pays émergents et en développement pour 2024 est de 4,3% et non de 4,2% ; et, pour les pays d’Afrique subsaharienne, il est de 3,7% et non de 3,8% en 2024, et de 4,1% et non de 4,0% pour 2025 – mais cela montre une certaine paresse et un manque de sérieux au ministère du Budget dans le travail de confection de ce document de première importance.
Sur le fond, Mme Suminwa soutient qu’en ce qui concerne l’évolution des prix intérieurs, «la politique économique à court terme devrait permettre de ramener l’inflation à 9,2 % en 2025, contre une estimation de 11,3 % pour 2024». Et de renchérir : «À moyen terme, elle devrait se stabiliser autour de 7 % en 2026 et 2027. Enfin, le taux de change moyenprojeté pour 2025 est de 2.954,4 Francs congolais pour un dollar américain, en légère hausse par rapport à l’estimation de 2.802,8 Francs congolais pour un dollar en 2024».
Budgets en eau de boudin
La première ministre n’a certainement pas perdu de vue que dans la loi de finance 2024, le taux de change moyen était plutôt de 2.518,3 francs pour le dollar américain, et qu’il est passé à 2.802,8 dans le budget rectificatif voté en octobre. Même si, pour le moment, Mme Suminwa tient bien la barque d’une gestion sur base caisse qui contient l’inflation dans des bonnes limites, comment compte-t-elle espérer un taux de change moyen de seulement 2.954,4 FC le dollar US tout au long de l’année 2025, surtout quand les recettes ne semblent pas du tout suivre, ce qui n’écarte pas le risque d’un financement monétaire des déficits ?
En effet – et c’est la question majeure pour ce projet de budget – comment passer crânement de 40,5 mille milliards de francs, soit 16 milliards de dollars américains en 2024, à 49,8 mille milliards de francs dollars américains, soit 18 milliards USD en 2025, vu que la mobilisation des recettes n’a pas été au rendez-vous en 2024 ? Quelques chiffres l’illustrent : selon le condensé d’informations statistiques de la Banque centrale du Congo numéro 37, à mi-septembre, soit à trois mois de la fin de l’exercice, la mobilisation des recettes ne s’élevait qu’à 17,7 mille milliards de francs sur les plus de 40 mille milliards prévus, soit seulement 43,77%. Même pas la moitié des prévisions budgétaires annuelles !
Alors que la logique aurait commandé une loi budgétaire rectificative afin de coller à la réalité en baissant le niveau attendu de recettes de l’Etat, Mme Judith Suminwa et son ministre du Budget, l’incroyable Aimé Boji, vont élaborer une loi de finance rectificative certes, mais qui revoit à la hausse les recettes attendues, les faisant passer de 40,4 mille milliards de francs à 44,4 mille milliards de francs. C’est le monde à l’envers ! Dans le landerneau économique du pays, banquiers, professeurs d’économie et autres financiers s’arrachent les cheveux, et l’on se pose des questions sur les compétences réelles de ce ministre du Budget qui, décidément, donne l’impression de ne rien comprendre aux questions budgétaires.
Tout bien considéré, la RDC va perpétuer cette année encore une pratique qui tend, depuis que Aimé Boji a été installé aux commandes d’un ministère du Budget visiblement trop gros pour lui, à devenir une vraie tradition : adopter des budgets de l’Etat illusoires à ce point éloignés de réalités qu’ils finissent toujours en eau de boudin, avec des taux de réalisation d’à peine 50%. Et l’année suivante, on prend plaisir à revoir à la hausse la prochaine loi de finance, juste pour amuser la galerie, et ainsi de suite, sans tirer la moindre leçon de l’exécution des budgets précédents.
Aristote KAJIBWAMI